Une proposition de loi visant à favoriser les acteurs locaux dans l’accès à la commande publique

Par Emmanuel Camus

Publié le

Le localisme fait son grand retour cet été au Sénat, avec une proposition de loi présentée par le sénateur Bruno Retailleau enregistrée au début du mois de juillet. Il s’agit d’une problématique épineuse, qui a fait l’objet de décisions des juridictions administratives jusqu’ici peu favorables à la prise en compte de circonstances géographiques dans l’attribution du marché (Proposition de loi no592 tendant à adapter les règles de passation des marchés publics locaux aux conséquences de la crise sanitaire).

L’exposé des motifs ne comporte que de bonnes intentions : la proposition de loi vise à aider les PME françaises à accéder à la commande publique en autorisant temporairement les acheteurs publics à inclure des critères géographiques pour l’attribution de leurs contrats ; afin de « renforcer les circuits économiques courts de leurs territoires au moment où ceux-ci sont les plus essentiels, et d'assurer une exécution plus fiable de certains contrats susceptibles d'être perturbés par les restrictions de liberté de circulation prises pour des raisons sanitaires ».

Cette volonté se traduirait par deux mesures : la possibilité, d’une part, pour les acheteurs d’imposer « qu’une part minimale pouvant aller jusqu’à 25 % du nombre d’heures nécessaires à l’exécution du marché, soit effectuée par des personnels domiciliés à proximité du lieu d’exécution, dans un périmètre qu’ils déterminent ». D’autre part, la prise en compte par les acheteurs dans les critères d’analyse des offres de « la proximité des soumissionnaires du lieu d’exécution du marché et leurs engagements à cet égard dans l’évaluation de leur offre ».

La jurisprudence du Conseil d’État fait preuve d’une certaine défiance à l’égard des critères dits « géographiques ». Ainsi, commet un manquement le pouvoir adjudicateur qui décide « d'attribuer le marché de préférence à une entreprise locale lorsque celle-ci présente des propositions n'excédant pas 4 % du devis d'éventuels soumissionnaires, ceci dans le souci de favoriser le maintien des emplois locaux et l'acquittement, au bénéfice de la commune, des taxes professionnelles » dès lors que ce critère est sans lien avec les conditions d’exécution du marché (CE, 29 juill. 1994, no 131562, Commune de Ventenac-en-Minervois).

De la même manière, un critère « de nature à favoriser les candidats les plus proches et à restreindre la possibilité pour les candidats plus éloignés d'être retenus par le pouvoir adjudicateur » pour l’attribution d’un marché relatif à l’acquisition de documents sur tous supports et à des prestations de services associées pour une bibliothèque est irrégulier (CE, 12 sept. 2018, no 420585, S la Préface).

La proposition de loi est donc en contradiction totale avec la jurisprudence en la matière et, qui plus est, ne semble pas pour le moment de nature à dissiper certains doutes : les acheteurs pourraient ainsi prendre en compte les « engagements » des soumissionnaires compte tenu de leur proximité du lieu d’exécution du marché. Au-delà du fait qu’il est difficile de savoir à quel type d’« engagement » il est fait référence, on ne peut que souhaiter bonne chance aux acheteurs pour imaginer et formuler un critère qui ne serait pas susceptible, tout en étant conforme à l’énoncé de l’article de la proposition de loi, de se traduire par une rupture d’égalité de traitement manifeste dans sa mise en œuvre.

On ne peut qu’observer également, s’agissant de la réservation d’un certain pourcentage d’heures à des personnels domiciliés à proximité du lieu d’exécution, que la proposition de loi a tout de la fausse bonne idée : en premier lieu, car il revient à l’acheteur de déterminer le périmètre pertinent, ce qui ne manquera pas d’être source de contentieux ; en second lieu, car, contrairement à une idée reçue, il pourrait être plus facile pour des entreprises de taille conséquente de mettre en place un bureau secondaire à proximité du lieu d’exécution du marché que pour certaines PME situées, par exemple, dans un département voisin…

Si l’objectif est louable, sa traduction dans la proposition de loi, dont nous suivrons de près le devenir, semble donc quelque peu approximative. Il est toutefois vrai que le sujet n’est pas des plus simples, loin de là.