Marché alimentaire : ça ne va pas être du flan !

Par Laurence Martini

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La loi dite EGA qui a été déposée sur la table des députés en février dernier pourrait impacter la commande publique en matière de marchés de denrées alimentaires et de marchés de restauration collective. Néanmoins, des bonnes pratiques existent déjà en la matière,  ne s’agirait-il pas de les rendre obligatoires ? Les prochains mois nous le diront…

Comme le souligne le Conseil économique et social et de l’environnement dans une de ses dernières études, la commande publique devient « explicitement un outil de politique publique poursuivant des objectifs économiques, sociaux et environnementaux » […] ; les dernières réformes en font en conséquence un réel « levier de politiques publiques vertueuses et responsables ».

Aussi, si le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et pour une alimentaire saine et durable dite loi EGA dont les objectifs sont de rémunérer au juste prix les producteurs agricoles, de « renforcer la qualité sanitaire environnementale et nutritionnelle des produits et de favoriser une alimentation saine sûre et durable pour tous » ne prévoyait pas de dispositions relatives à la commande publique, l’Assemblée nationale en a décidé autrement.

En effet, comme l’a précisé la directrice des Affaires juridiques, Laure Bédier, lors de l’ouverture de la 180e session d’études de l’Association pour l’achat dans les services publics (APASP), ce projet a fait l’objet de nombreux amendements allant dans ce sens.

Laure Bédier en cite quelques-uns, notamment l’obligation de révision des prix dans les marchés de fournitures de denrées alimentaires, l’obligation de performance en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire, la prise en compte de la saisonnalité des produits et le bien-être de l’animal.

Sur la révision des prix, les députés proposent que la détermination du prix doive prendre en considération « un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et relatifs aux prix des produits agricoles et alimentaires constatés sur les marchés » ; ils demandent en conséquence aux acheteurs de prendre en compte les fluctuations des prix en incluant une révision. En effet, Bercy avait déjà préconisé que « compte tenu de la nature des produits concernés », il était nécessaire de « recourir aux prix révisables, soit sur la base de prix réellement constatés sur les marchés (cotations, cours, mercuriales), soit sur la base de formules de révision ». Par exemple, dans le guide de l’achat public de fruits, légumes et pommes de terre à l’état frais, le Groupe d’étude des marchés de restauration collective et de nutrition (GEMRCN) indique que les prix des produits frais étant particulièrement soumis aux aléas météorologiques et économiques, il convient de prévoir une révision des prix par ajustement à une référence représentative du coût du produit ; le marché (prévoira) donc cette référence et la périodicité de révision ».

En matière de gaspillage alimentaire, les députés proposent que la « lutte contre le gaspillage alimentaire doi(ve) être intégrée » [...] à tous les projets alimentaires territoriaux ». Aussi pour ce faire, les acheteurs devront mettre en œuvre des clauses de performance dans les cahiers des charges ; pas étonnant lorsque l’on sait que « pour un restaurant servant 500 convives en moyenne 200 jours sur une année, le gaspillage représente entre 15 et 20 tonnes par an [...] ». Par référence au Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire qui prévoit la réduction des déchets de moitié à l’aube de 2025, ces clauses de performance pourraient concerner « l’approvisionnement, la taille des portions et la possibilité d’acheter des portions adaptées aux convives, la sensibilisation des clients, équipes et convives, les processus de préparation des repas, meilleures prévisions du nombre des convives [...] ».

Toutefois, le décret du 25 mars 2016 et le code des marchés publics abrogé prévoyaient déjà la possibilité d'inscrire dans les marchés publics des clauses et/ ou des critères d’attribution relatifs au développement durable. Aussi, nombre de collectivités s’inscrivent déjà dans cette démarche de lutte contre le gaspillage. Comme par exemple, la Région Île-de-France qui, lors du renouvellement de son marchés traiteur (réceptions, plateaux repas) et restauration administrative des agents et des élus du Conseil Régional, en 2015, a introduit des clauses « demandant aux candidats de présenter leurs modalités d’intervention permettant de prévenir le gaspillage alimentaire (politique d’achats, modalités de service, processus de prévision du nombre de convives, etc.) et de valoriser les surplus. Le cahier des clauses techniques et administratives particulières présentent « des obligations de manière à s’assurer du respect de certains principes clés, comme la mise en place d’un tri des surplus valorisables, le déploiement d’une démarche de sensibilisation, etc. »

Concernant le développement du bio, des circuits court et du commerce équitable, les députés proposent d’imposer un minimum de bio dans les restaurants collectifs. Conformément aux États généraux de l’agriculture qui ont abouti au projet de loi, les députés demandent que la restauration collective s’approvisionne avec au moins 50 % de produits sous signes de qualité ou bio. Deuxième nouveauté : si cette obligation devait être instaurée initialement qu’à compter du 1er janvier 2022, cette obligation devrait être réalisée au plus tard au 1er janvier 2022, ce qui change la donne.

L’Assemblée nationale propose aussi de tenir compte de la saisonnalité des produits ou encore du bien-être animal. Conformément aux bonnes pratiques en matière de marchés de fournitures de denrées alimentaires, la saisonnalité est effectivement à prendre en considération. Cette saisonnalité peut être formulée en termes d’exigence et/ou en termes de critère d’attribution des offres, comme le souligne le guide « rédiger un marché de denrées alimentaires »  rédigé par l’Agence régionale pour l’environnement et l’écodéveloppement. Concernant le bien-être animal, en allusion aux conditions d’abattage des animaux, l’article 62 du décret permet d’utiliser déjà cette notion comme critère d’attribution.

Néanmoins, et a priori, il semble que la question de l’exception alimentaire en matière de commande publique souhaitée par certains députés, responsables des ateliers des États généraux sur l’alimentation n’ait pas été abordée. En effet, cette exception alimentaire permettrait de mettre en œuvre des critères géographiques. En effet,  comme le rappelle l’association des Maires de France, « si l’exigence d’un label se référant à la seule qualité des produits est permise – dans les marchés de denrées alimentaires (et) à la condition d’accepter des produits présentant un niveau de qualité équivalent ; en revanche la labellisation obligatoire par des signes ou mentions liés à une origine déterminée des produits (AOC, AOP, IGP) dans le cahier des charges pose des difficultés d’ordre juridique, compte tenu de l’interdiction d’imposer dans les spécifications techniques une provenance ou origine déterminée ».

En conséquence, si le projet de loi EGA va impacter les règles de la commande publique, les États généraux de l’alimentation avaient  déjà prévu que les acheteurs seraient accompagnés dans la mise en œuvre de ces dispositions,  notamment à travers la communication  généralisée de bonnes pratiques.

Références :