Les impacts pour l’outre-mer de l’ordonnance du 23 juillet 2015

Par Laurent Chomard

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Après avoir étudié les points les plus marquants de l’ordonnance du 23 juillet 2015 réformant les marchés publics dans la Lettre Légibase Marchés publics n° 136, nous allons poursuivre notre étude en nous concentrant cette fois sur les dispositions plus discrètes, mais à l’impact tout aussi important, concernant les Outre-mer, afin de garder une certaine ambiance de vacances en cette rentrée. 

L’outre-mer ne s’est jamais vue consacrer autant de dispositions dans une réglementation des marchés publics français. Pour beaucoup, elles visent à adapter les références faites par l’ordonnance à des codes et textes réglementaires applicables en France, aux textes réglementaires propres à chaque territoire, comme par exemple le renvoi aux dispositions du Code du travail propre au département de Mayotte. Mais deux nouveautés méritent que l’on s’y attarde. Tout d’abord, les articles 96, 97, 98 et 99 de l’ordonnance étendent le champ d’application du droit des marchés publics métropolitain à la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, aux  îles Wallis et Futuna et aux Terres australes et antarctiques françaises. Puis, nous analyserons l’article 91 qui institue une clause sociale empreinte de localisme, spécifique à tous les territoires d’outre-mer.

I. L’extension limitée du droit des marchés publics métropolitain à l’outre-mer

Le droit des marchés publics métropolitain s’applique déjà aux départements et régions d'outre-mer (Drom). La France comprend quatre Drom : la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, et La Réunion. Le droit de la commande publique applicable est le Code des marchés publics français avec la possibilité d'adapter certaines dispositions aux spécificités locales.De même, les collectivités d'outre-mer (COM) soumises au principe « d'identité législative » telles que Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte appliquent le Code des marchés publics métropolitain depuis le 21 juin 2008. En revanche, les autres collectivités d'outre-mer comme la Polynésie, la Nouvelle- Calédonie et les îles Wallis et Futuna sont soumises au régime de spécialité législative et d'autonomie défini par l'article 74 de la Constitution. Leurs assemblées locales peuvent édicter leur propre réglementation notamment en matière de commande publique.  Si l’ordonnance étend le champ d’application du droit des marchés publics français à l’État et à ses établissements publics situés en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, les collectivités sont, elles, toujours régies par leur propre réglementation. Ainsi par exemple, la « réglementation des marchés administratifs de toute nature passés au nom du Territoire de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances » est fixée par une délibération du 1er mars 1967 et amendée régulièrement (la dernière modification remonte au 18 mars 2015).À noter cependant qu’en ce qui concerne les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), même si elles sont soumises au principe de spécialité législative, l’application de l’ordonnance aux marchés conclus par l’État rend celle-ci applicable de facto sur les TAAF. En effet, celles-ci ont un préfet qui est à la fois le représentant de l’État dans la circonscription administrative et l’exécutif de la collectivité. Les TAAF ont la particularité de ne pas avoir de population permanente et, par conséquent, n’ont ni électeurs, ni élus, ni assemblée délibérante locale.

II. La préférence locale consacrée en outre-mer

Une disposition novatrice va permettre à l’ensemble des territoires d’outre-mer de lutter contre le chômage au moyen des marchés publics.Des voix s’étaient dernièrement élevées à cette fin. Dans un article du quotidien Les Échos, Jean-Marc Peyrical (avocat et président de l'Apasp) et Erik Pollien (Administrateur de la Fédération des entreprises d'outre-mer) soulignaient que «  l'une des premières demandes des opérateurs économiques locaux est la préférence territoriale en matière d'achat public. » Ils ont été partiellement entendus avec l’article 91-I de l’ordonnance qui permet pour les acheteurs des « départements, régions, collectivités uniques d’outre-mer, collectivités de l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie ainsi qu’à Mayotte » d’imposer aux titulaires des marchés qu’un minimum d’heures nécessaires à l’exécution des prestations soit effectuées par « des jeunes de moins de 25 ans domiciliés dans ce territoire ». Cette disposition, pragmatique de prime abord, pèche cependant par sa conditionnalité. En effet, celle-ci ne sera applicable que dans la mesure où « le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans pour la dernière année connue dans le territoire considéré est égal ou supérieur à une proportion définie par voie réglementaire au taux de chômage observé pour le niveau national pour la même catégorie ». Néanmoins, cette condition ne devrait pas poser de problème. En 2014, selon le Bureau international du travail, 56,3 % des moins de 25 ans sont au chômage en Guadeloupe contre 50,6 % en Martinique et 40 % en Guyane, alors que ce taux n'est « que » de 24 % en France métropolitaine. On notera que l’article 91-II indique que pour l’application du I, « en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis et Futuna, la mention : "les acheteurs" est remplacée par la mention : "l’État et ses établissements publics". Ce qui confirme que l’ordonnance ne s’applique pas aux collectivités locales dans ces territoires.Sources :