L’environnement mondial des marchés publics en mutation

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On s’en inquiète peu au niveau local, tant l’étude du droit national des marchés publics est la priorité du praticien de la commande publique, tout juste s’intéresse-t-on aux normes européennes ayant un impact direct sur notre droit. Pourtant, même au niveau mondial, il existe des normes concernant les marchés publics. Après avoir présenté l’accord sur les marchés publics (AMP) et son champ d’application (I), nous étudierons son impact sur le droit national des marchés publics (II). Enfin, nous aborderons le nouvel accord AMP en gestation et son impact sur le commerce international (III).

I. Champ d’application de l’accord sur les marchés publics

L'OMC s'intéresse aux marchés publics à travers ses travaux sur la transparence des marchés publics (réalisés par un groupe de travail se composant de l'ensemble des membres de l'OMC) et des négociations multilatérales sur les marchés publics de services, conformément à l'article XIII-2 de l'Accord général sur le commerce des services. Mais aussi, et surtout, à travers le seul accord juridiquement contraignant qu'est l'Accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP), signé donc par une partie seulement des membres de l'OMC, et qui ne s'applique ainsi qu'à eux.L’accord actuel, signé le 15 avril 1994 à Marrakech, est entré en vigueur le 1er janvier 1996. Il a été ratifié par la France le 27 décembre 1994 et a été publié au Journal officiel suite au décret n° 95-1242 du 24 novembre 1995.Cet accord s’applique aux marchés dont la valeur dépasse certains seuils. Dans le cas des marchés de biens et de services (limités aux services listés dans l’annexe 4 de l’appendice I de l’accord) passés par le gouvernement central (État), le seuil est de 130 000 DTS (154 000 € environ en janvier 2012) ; pour les entités des gouvernements sous-centraux (collectivités territoriales), il est de 200 000 DTS (236 500 € environ en janvier 2012) et de 400 000 DTS (471 000 € environ à cette même date) pour les opérateurs de réseaux (entités adjudicatrices). Enfin, pour les marchés de travaux, que ce soit pour l’État ou les collectivités territoriales, le seuil est de 5 millions de DTS (5 915 000 euros environ en janvier 2012).Le DTS, ou droit de tirage spécial, a été créé par le FMI en 1969 afin de pallier l’insuffisance de l’or et du dollar US comme avoirs de réserves mondiaux. Il sert aujourd’hui surtout comme unité de compte pour le FMI ainsi qu’à certains autres organismes internationaux. Le DTS n’est pas une monnaie, mais une créance virtuelle sur les monnaies, dont la valeur est déterminée par rapport à un panier de devises composé du dollar, de l’euro, de la livre sterling et du yen.En revanche, l’AMP ne couvre pas les opérateurs de réseaux qui ne sont pas listés en annexe 3 de l’appendice I, c'est-à-dire ceux qui œuvrent dans les secteurs de l’énergie hors électricité, des chemins de fer non urbains et des télécommunications. L’article 23 de l’accord prévoit en outre des exceptions à cet accord pour les marchés de défense ou de sécurité ainsi que des marchés portant sur des mesures « nécessaires à la protection de la moralité publique, de l'ordre public ou de la sécurité publique, à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux, ou à la protection de la propriété intellectuelle, ou se rapportant à des articles fabriqués ou des services fournis par des personnes handicapées, ou dans des institutions philanthropiques, ou dans les prisons ».

II. Le lien entre accord sur les marchés publics et directive marchés publics

Les directives européennes doivent respecter l'Accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP). C’est par leur biais que cet accord s’impose aux États. En effet, par une décision du Conseil de l’Union en date du 22 décembre 1994, l’AMP a été intégré dans l’ordre juridique communautaire mais ne peut être invoqué directement devant les juridictions communautaires ou celles des États membres.En tant qu’accord international, les États parties ne consentent l’accès des candidats aux marchés dans un secteur donné que si l’État d’origine de ceux-ci ouvre en retour ses propres marchés dans le cadre de l’accord (en effet, l'accord comporte des exemptions et des particularités résultant des négociations d’adhésion pour chaque État membre listé en annexe).Ce principe de réciprocité classique du droit international public a été battu en brèche par la décision du Conseil de l’Union en date du 22 décembre 1994 puisqu’elle a étendu les conditions d’application du principe de non-discrimination réservé aux États de l’Union aux États signataires de l’AMP. La directive européenne 2004/18, dans son article 78 (article 69 de la directive 2004/17), a prévu l’alignement des seuils (au-dessus desquels les marchés sont couverts par la directive) sur ceux de l'AMP. Pour ce faire, une révision des seuils de la directive, exprimés en euros, a lieu tous les deux ans afin d’assurer le respect des seuils en DTS prévu par l’accord sur les marchés publics. En conséquence, les marchés soumis à l’AMP sont ceux dont le montant dépasse les seuils communautaires.L’AMP définit également des principes généraux et un corpus essentiel de règles procédurales. Les principes fondamentaux de l’Accord sont la non-discrimination, la transparence et l’équité procédurale. Les règles procédurales minimum à respecter sont une publicité, une mise en concurrence au moyen d’un appel d’offres ouvert, d’un appel d’offres sélectif (fournisseurs admis à soumissionner suite à une sélection) ou d’un appel d’offres limité (équivalent du négocié sans mise en concurrence pour des cas similaires au droit européen), la possibilité de négocier sans discrimination, et un ensemble de règles que l’on retrouve transcrites dans les directives européennes.Pour illustrer ce lien entre accord AMP, directive européenne et droit national, on peut prendre l'exemple des marchés de services. Tous les marchés de services ne sont pas couverts par l’AMP. Les services visés par l’accord sont ceux listés à l’annexe 4 de l’appendice I et ils correspondent à ceux de l’annexe 2 de la directive 2004/18 de la Communauté européenne et à ceux listés à  l’article 29 du Code des marchés publics français. Attention toutefois, la correspondance entre ces différentes listes n’étant pas totale, des divergences existent.Si l’Accord sur les marchés publics vise à ouvrir autant que possible les marchés publics des parties à la concurrence internationale et prévoit un traitement spécial et différencié pour les pays en voie de développement, il existe cependant d’autres accords internationaux entre l’Europe et des pays non signataires de l'AMP qui permettent de candidater à un marché public en France : l’accord global de coopération CE-Mexique, l’accord d'association CE-Chili, l’accord intérimaire sur le commerce et les mesures d'accompagnement avec le Monténégro, les accords de stabilisation et d'association avec les pays des Balkans, et surtout les accords résultant de la politique européenne de voisinage (soit les voisins immédiats, terrestres ou maritimes, de l'Union – Algérie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Égypte, Géorgie, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Moldavie, Maroc, Territoire palestinien occupé, Syrie, Tunisie et Ukraine).

III. L’impact du nouvel AMP

Les négociations qui étaient en cours depuis dix ans ont abouti le 15 décembre 2011 à un nouvel  accord sur les marchés publics, lequel devrait être signé en avril 2012. Il a pour objectif l’amélioration de l’accord AMP lui-même, afin de mieux refléter les pratiques en matière de marchés publics et de faciliter l’adhésion de nouveaux membres. Actuellement, 42 pays sont parties à l’AMP : le Canada, la Corée, les États-Unis, Hong Kong, la Chine, l'Islande, Israël, le Japon, le Liechtenstein, le Royaume des Pays-Bas pour le compte d’Aruba, la Norvège, Singapour, la Suisse, Taïwan, l'Arménie et l'Union européenne, y compris ses 27 États membres.Avec ce nouvel accord, 9 autres pays devraient rejoindre ceux cités ci-dessus : l’Albanie, la Chine, la Géorgie, la Jordanie, la Moldavie, Oman, le Panama, la République kirghize, l'Ukraine. Leur arrivée devrait renforcer l’impact économique de l’accord AMP, lorsque l’on sait que pour le commerce international, les marchés publics représentent en général 15 à 20 % des PIB nationaux. Ce qui explique aussi que l’adhésion de la Chine représente un enjeu majeur du commerce international. Les Américains, dans le cadre des négociations en cours, sont toutefois réticents à cette adhésion, jugeant les concessions de Pékin trop faibles.De même, en attendant l’adhésion de la Chine à cet accord, l’Europe envisage des rétorsions, annoncées par le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht, dans le magazine allemand Focus : « Avec mon collègue au Marché intérieur, Michel Barnier, nous préparons une proposition de loi dans le domaine des marchés publics, afin de pouvoir réagir si les Chinois continuent de bloquer aux entreprises européennes l'accès à certains segments de marché ». Il s'agirait ainsi d'empêcher les entreprises chinoises de candidater aux offres publiques européennes. Sources :