Prestations partiellement réglementées : le diable est dans les détails

Par Jessica Serrano Bentchich

Publié le

Dans son arrêt du 4 avril 2018, le Conseil d'État apporte des précisions intéressantes quant à la recevabilité des candidatures et des offres des soumissionnaires dans le cadre de marchés dont l'objet est totalement ou partiellement réglementé.

Lorsque le marché porte dans sa totalité sur des activités dont l’exercice est réglementé, l’acheteur doit vérifier que chaque soumissionnaire, membre d’un groupement d’entreprises ou non, remplit les conditions légales et réglementaires requises pour les exercer.

Lorsque le marché porte partiellement sur des activités dont l’exercice est réglementé, l’acheteur doit vérifier que le soumissionnaire individuel respecte lesdites conditions pour les exécuter.

Dans l’hypothèse où la candidature serait portée par un groupement d’entreprises dont l’un des membres ne remplirait pas les conditions requises, l’acheteur doit vérifier que :

  • le groupement d’entreprises est conjoint ;
  • l’un au moins des co-traitants est autorisé à exécuter les prestations réglementées ;
  • la répartition des tâches entre les co-traitants est précisée ;
  • le co-traitant non-habilité à réaliser les prestations réglementées n’empiète « manifestement » ou « nécessairement » pas dans le domaine réglementé.

1. La nécessaire répartition des tâches par le groupement d’entreprises conjoint

L’exercice de certaines activités et la réalisation des prestations y afférentes sont soumises à une autorisation ou un agrément préalable. Il s’agit des « prestations réglementées ».

L’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques précise que seuls les titulaires d'une licence en droit ou disposant d'une compétence en droit peuvent réaliser des consultations juridiques ou rédiger des actes en matière juridique.

Dans l’arrêt commenté, il s’agit du respect de cette réglementation dans le cadre d’une consultation portant sur la recherche d’économies notamment en matière fiscale et sociale.

Le requérant, candidat évincé, soutenait que la candidature et l’offre du groupement attributaire étaient contraire à la réglementation régissant l’exécution des prestations. En conséquence, l’acheteur ne pouvait pas légalement lui attribuer le marché.

Saisi d’un référé précontractuel, le tribunal administratif de Nîmes a uniquement vérifié que les candidats avaient présenté une offre dans le cadre d’un groupement d’entreprises conjoint, l’un des membres du groupement attributaire disposait de la compétence juridique et l’acte d’engagement avait été co-signé.

Selon le Conseil d’État, cette analyse in globo, qui ne répondait pas au moyen soulevé par le requérant, est entachée d’une erreur de droit. En effet, le tribunal aurait dû vérifier la répartition des tâches entre les membres du groupement attributaire afin de vérifier que le co-traitant incompétent en matière juridique n’empiétait pas sur le domaine réglementé.

Le juge du Palais Royal précise dans cet arrêt mentionné aux tables les conditions de régularité des candidatures et des offres des soumissionnaires dans le cadre des prestations réglementées et le contrôle y afférent de l’acheteur, et le cas échéant, du juge.  

Il appartient au pouvoir adjudicateur, « […] dans le cadre de la procédure de passation d'un marché public portant sur des activités dont l'exercice est réglementé, de s'assurer que les soumissionnaires remplissent les conditions requises pour les exercer ; […] que, toutefois, lorsque les prestations qui font l'objet du marché n'entrent qu'en partie seulement dans le champ d'activités réglementées, l'article 45 du décret du 25 mars 2016 autorise les opérateurs économiques à présenter leur candidature et leur offre sous la forme d'un groupement conjoint, dans le cadre duquel l'un des cotraitants possède les qualifications requises ; […] à la condition que la répartition des tâches entre les membres du groupement n'implique pas que celui ou ceux d'entre eux qui n'a pas cette qualité soit nécessairement conduit à effectuer des prestations […] » réglementées.

Il est conseillé à l’acheteur de rappeler dans son règlement de consultation les conditions posées par cet arrêt notamment de demander au groupement d’entreprises de préciser la répartition des tâches dans leur dossier de candidature. Il pourra ainsi contrôler la recevabilité des candidatures et des offres des soumissionnaires.

2. L’instauration d’un « contrôle de l’empiètement manifeste »

En vertu de l’article 59 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, l’acheteur doit vérifier que les offres sont régulières, acceptables et appropriées. Une offre irrégulière est « une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ».

Sous l’empire du Code des marchés publics, il était précisé à l’article 53 que les acheteurs devaient éliminer les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables. L’article 35 de ce même code précisait qu’une offre était inacceptable « si les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur ».

Le non-respect des réglementations applicables à l’exécution du marché relevait de l’office du juge du référé en ce qu’il caractérisait un manquement de l’acheteur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence (CE, 30 sept. 2011, n° 350153, Département de Haute-Savoie ; CE, 19 juil. 2010, n° 337071, Région Réunion).

Dans la présente affaire, le rapporteur public, Gilles Pellissier, a proposé de consacrer un contrôle que l’on pourrait qualifier de « contrôle de l’empiètement manifeste » par lequel l’acheteur doit vérifier, après avoir constaté la matérialité de la répartition des tâches, si celle-ci n’implique pas nécessairement la réalisation des prestations réglementées par le ou les cotraitants incompétents.

Le Conseil d'État a suivi l’analyse de son rapporteur puisqu’il précise dans son arrêt « […] qu'il ne ressort pas manifestement d'une telle répartition que la société Atax Consultants serait nécessairement conduite à exercer des missions entrant dans le champ d'application de l'article 54 précité de la loi du 31 décembre 1971 ».

En pratique, la confrontation du contenu des prestations décrites aux cahiers des charges (CCTP) et la répartition des tâches présentée par les soumissionnaires permettra de démontrer que l’offre du groupement attributaire est irrégulière, faute de respecter la réglementation en vigueur.

Quelquefois, l’irrégularité se cachera dans les détails de l’offre technique du groupement attributaire, document auquel le candidat évincé n’a pas accès puisqu’il est couvert par le secret industriel et commercial.

Sources :