L'interdiction de soumissionner "facultative" au secours du sourcing !

Par Laurent Chomard

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Le sourcing ou « les études et échanges préalables avec les opérateurs économiques » comme dénommé par l’article 4 du décret no 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics sont des outils trop souvent négligés par les acheteurs publics dans la définition préalable des besoins. Pourtant, la définition préalable des besoins est la clef de voûte d’un achat pertinent mais aussi juridiquement correct.  La raison de ce manque de sourcing est, peut-être, la peur de tomber dans le délit de favoritisme, ou sans aller jusque là, entacher d'irrégularité sa procédure. Alors même que, l’article 4 du décret marchés public lui donne un cadre qui devrait rassurer : « Afin de préparer la passation d'un marché public, l'acheteur peut effectuer des consultations ou réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences. Les résultats de ces études et échanges préalables peuvent être utilisés par l'acheteur, à condition qu'ils n'aient pas pour effet de fausser la concurrence et n'entraînent pas une violation des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. »

C’est aussi pour donner un outil de sécurisation des procédures de sourcing que la réglementation permet à l’acheteur d’exclure de la consultation un candidat au moyen de l’interdiction de  soumissionner  facultative sur la participation préalable à la préparation de la procédure de passation. Étudier le statut des interdictions de soumissionner facultatives et en particulier, celle relative au sourcing, permettra de prendre conscience que les risques sont minimes pour l’acheteur qui souhaite recourir au sourcing. D’autant que le Conseil d’État, par sa décision en date du 12 septembre 2018 (no420454), vient d’affirmer que le simple doute sur l’impartialité de l’acheteur en raison de la participation préalable d’un candidat à la préparation d’un marché public n’est pas suffisant pour constituer un manquement au principe d’égalité de traitement des candidats.

1. Précisions sur le statut des interdictions de soumissionner dites « facultatives »

L’ordonnance no 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics prévoit des interdictions de soumissionner « obligatoires » (art. 45) et des interdictions de soumissionner dites « facultatives » (art. 48). Les interdictions de soumissionner obligatoires obligent l’acheteur à vérifier la candidature des opérateurs économiques vis-à-vis de ces interdictions avant attribution du marché et à exclure le candidat si celui-ci relève d’une de celles-ci. La Direction des affaires juridiques de Bercy, dans sa fiche sur l’examen des candidatures, explique que : « le qualificatif de "facultatives", repris des directives européennes, ne signifie pas que l’acheteur a ou non le choix de prévoir ces interdictions de soumissionner. Il signifie seulement qu’un opérateur économique qui serait dans un tel cas d’interdiction de soumissionner n’est pas automatiquement exclu de la procédure. Pourtant, la directive 2014/24 du Parlement Européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, en son article 57-4, souligne que dans ces cas de figure : « Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure ou être obligés par les États membres à exclure tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché. » La France semble avoir choisi puisque l’article 48 précise que « les acheteurs peuvent exclure de la procédure de passation du marché public », dans ces situations listées à ce même article. Parce que, par définition, elles ne sont pas automatiques, lorsque l’acheteur souhaite vérifier tel ou tel cas d’interdiction de soumissionner facultative, il devra respecter le principe du contradictoire et permettre à l’opérateur économique de se justifier et démontrer que, comme l’indique l’article 48 II de l’ordonnance, « sa participation à la procédure de passation du marché public n'est pas susceptible de porter atteinte à l'égalité de traitement ».

2. L’interdiction liée à la participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché public

Il existe cinq situations relevant des interdictions de soumissionner à l’appréciation de l’acheteur. La troisième, mentionnée à l’article 48-I 3° de l’ordonnance concerne « les personnes qui, par leur participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché public, ont eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats, lorsqu'il ne peut être remédié à cette situation par d'autres moyens. » L’article 5 du décret marchés publics reprend, au surplus, cette disposition en la précisant : « L'acheteur prend les mesures appropriées pour que la concurrence ne soit pas faussée par la participation à la procédure de passation du marché public d'un opérateur économique qui aurait eu accès, du fait de sa participation préalable directe ou indirecte à la préparation de cette procédure, à des informations ignorées des autres candidats ou soumissionnaires. Cet opérateur n'est exclu de la procédure de passation que lorsqu'il ne peut être remédié à cette situation par d'autres moyens, conformément aux dispositions du 3° de l'article 48 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée. L’article 5 fait peser une obligation sur l’acheteur. En effet, il doit prendre les mesures appropriées pour que la concurrence ne soit pas faussée. L’exclusion est la dernière solution et encore, on l’a vu, celle-ci intervient après avoir mis en demeure le candidat de démontrer que sa candidature ne porte pas atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats.

3. Principe d’impartialité : le doute ne suffit plus !

Le texte de l’article 48 de l’ordonnance fonde l’exclusion liée à la participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation sur le principe d’égalité de traitement des candidats. Pourtant les juges, pour établir le manquement au principe d’égalité, s’appuient concrètement sur le manquement au principe d’impartialité qui doit animer l’action de l’acheteur, principe général du droit qui s'impose au pouvoir adjudicateur, comme à toute autorité administrative, comme le rappelle le Conseil d’État dans sa décision du 4 octobre 2015, no 390968, Société Applicam Région Nord-Pas-de-Calais. Dans cette affaire portant sur un éventuel conflit d’intérêt, le Conseil d’État considérait que le simple doute de partialité était suffisant. Pour reprendre ses termes : « que s'il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé détiendrait encore des intérêts au sein de l'entreprise, le caractère encore très récent de leur collaboration, à un haut niveau de responsabilité, pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance de tels intérêts et par voie de conséquence sur l'impartialité de la procédure suivie par la région Nord-Pas-de-Calais ; qu'il était au demeurant loisible à la région, qui avait connaissance de la qualité d'ancien salarié de la SA Applicam de M. A..., de mettre en œuvre, une fois la candidature de cette société connue, toute mesure en vue de lever ce doute légitime, par exemple en l'écartant de la procédure d'analyse des offres ; que, dans ces conditions, la région Nord-Pas-de-Calais a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence ».

Le Conseil d’État vient infléchir sa position sur le sujet, par la décision en date du 12 septembre 2018, no 420454, Syndicat mixte des ordures ménagères de la vallée de Chevreuse1. Il refuse dorénavant de considérer que le simple doute sur l’impartialité de l’acheteur, en raison de la participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation d’un marché public, soit suffisant pour constituer un manquement au principe d’égalité de traitement des candidats. En l’espèce, le syndicat intercommunal des ordures ménagères de la vallée de Chevreuse avait lancé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution d’un marché de collecte des déchets ménagers et assimilés. La société Otus, candidat non retenu, avait obtenu l’annulation de la procédure, suite à un référé précontractuel. Le motif d’annulation était fondé par le juge, sur la méconnaissance, par l’acheteur, du principe d’impartialité. En avril 2017, le syndicat avait en effet conclu, un premier marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage avec la société Naldéo pour l’aider dans l’établissement du marché de collecte des ordures ménagères. Cependant, le chef de projet affecté par cette société au projet du SIOM avait rejoint en décembre 2017, soit après la date limite de remise des offres fixée au 10 janvier 2018, la société Sépur, désignée finalement attributaire du lot no 1. Pour le juge des référés du tribunal administratif, l’acheteur avait, dans ces circonstances, porté atteinte au principe d’impartialité du SIOM. Le Conseil d’État statue à l’inverse en considérant qu’» en retenant l’existence d’un doute sur l’impartialité de l’acheteur public alors qu’il n’avait relevé aucun élément de nature à établir que son mandataire, la société Naldéo, avait manqué d’impartialité dans l’établissement des documents de la consultation pendant la période où M. X. était son salarié, le juge des référés a inexactement qualifié les faits dont il était saisi » mais qui plus est «  en retenant un manquement à l’obligation d’impartialité de l’acheteur public du seul fait qu’il existait un risque que la société Sepur, attributaire du marché, ait pu obtenir des informations confidentielles à l’occasion de la participation de l’un de ses salariés à la mission d’assistance à la maîtrise d’ouvrage », alors que « cette circonstance était en elle-même insusceptible d’affecter l’impartialité de l’acheteur public », le juge a commis une seconde erreur de droit.

 

Cela correspond bien plus à l’esprit des interdictions de soumissionner facultatives, tel qu’exprimé par le législateur européen, lorsque celui-ci indique dans le Considérant 101 de la directive Européenne 2014/24 sur les marchés publics que : « Lorsqu’ils appliquent des motifs facultatifs d’exclusion, les pouvoirs adjudicateurs devraient accorder une attention particulière au principe de proportionnalité. Des irrégularités mineures ne devraient entraîner l’exclusion d’un opérateur économique que dans des circonstances exceptionnelles. Toutefois, des cas répétés d’irrégularités mineures peuvent susciter des doutes quant à la fiabilité d’un opérateur économique, ce qui pourrait justifier son exclusion. » L’acheteur, avant de se prononcer sur l’interdiction de soumissionner visée à l’article 48-I 3 alinéa de l’ordonnance doit analyser la situation au regard du principe d’égalité de traitement des candidats, du principe d’impartialité de l’action administrative et du principe de proportionnalité.

 

1 – Cette décision fait également l’objet d’un commentaire dans cette newsletter : ici.