Les stipulations contractuelles et l'intérêt général, clés d'une bonne résiliation

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La résiliation d’un contrat administratif entraîne l’anéantissement des relations à venir sans remettre en cause les réalisations passées. Les marchés publics sont une des catégories des contrats administratifs les plus exposés à la résiliation compte tenu de leur durée d’exécution, des risques inhérents (bouleversement de l’équilibre économique, faillite du prestataire, changement de choix par le pouvoir adjudicateur), d’un régime juridique strict (une passation illégale peut entraîner a minima une résiliation) et des potentielles fautes contractuelles par les parties.

Il existe plusieurs types de résiliation, depuis la résiliation pour faute à la résiliation pour motif d’intérêt général, dont les conséquences financières sont très différentes. Certaines n'ouvrent aucun droit à indemnisation, voire même conduisent à l’exécution du marché par un autre titulaire aux frais et risques du premier, quand d’autres font de l’indemnisation du préjudice un quasi-principe.
Deux arrêts récents du Conseil d’État ont mis en avant, dans des circonstances particulières, les deux grandes bornes qui balisent l’utilisation de la résiliation. L’importance des dispositions contractuelles pour encadrer précisément le droit à la résiliation, quelle qu’elle soit, ressort en premier lieu (I). L’intérêt général s’articule ensuite avec les dispositions contractuelles au service de la personne publique pour résilier comme pour poursuivre les relations contractuelles (II).

I. Connaître la résiliation pour bien l’encadrer contractuellement

L’article 12 du Code des marchés publics n’impose pas par hasard au pouvoir adjudicateur qui lance un marché selon une procédure formalisée de définir dans les pièces de celui-ci les conditions de résiliation. Les cahiers des clauses administratives générales (CCAG) prévoient ces conditions a minima. Pour autant, dans la mesure où d’une part les cahiers des clauses administratives particulières prévalent sur les CCAG et permettent une adaptation plus précise que les stipulations standards, ce sont dans ces instruments que les précisions doivent être apportées.Les stipulations contractuelles sont à cet égard de deux ordres : les motifs qui ouvrent droit à la résiliation unilatérale d’une part et le montant de l’indemnisation ouverte en cas de résiliation d’autre part.Les motifs de résiliation unilatérale peuvent tenir à des motifs d’exécution du contrat, avec ou sans faute, à des motifs tenant à la personne du titulaire et enfin à l’intérêt général.La résiliation pour des motifs tenant à l’exécution du contrat peut reposer sur des faits très différents. Il peut par exemple s’agir d’un refus du titulaire de se conformer à un ordre de service ou d’une mauvaise utilisation du matériel ou des lieux mis à sa disposition. Il peut également s’agir d’une difficulté d’exécution du marché ou d’un ordre de service tardif.La résiliation peut être fondée sur des motifs propres au titulaire tels que prévus dans les CCAG : le décès ou l'incapacité civile du titulaire, la mise en redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire du titulaire et l’incapacité physique du titulaire.Ces motifs doivent être précisés contractuellement, soit pour en écarter certains, soit pour les rendre utilisables par les titulaires du marché. L’arrêt du Conseil d’État du 8 octobre 2014 (Société Grenke location, no 370644) l’illustre en reconnaissant que dans un contrat qui n'a pas pour objet l'exécution même du service public les parties peuvent définir contractuellement les conditions auxquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles. En l’espèce, l’article 12 des conditions générales de location de photocopieurs permettait au cocontractant de l'administration de résilier unilatéralement le contrat en cas de retard de paiement des loyers. Le juge l’a validé en ajoutant seulement la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’opposer un motif d’intérêt général à la résiliation, inexistant en l’espèce.Les stipulations contractuelles permettent également de définir les montants d’indemnisation de la résiliation.  La résiliation pour faute entraîne généralement la passation d’un marché de remplacement aux frais et risques du précédent titulaire, mais il est possible de prévoir contractuellement d’y déroger en prévoyant une résiliation simple lorsque le titulaire est insolvable. Parallélisme des formes oblig, il peut être décidé d’indemniser des résiliations plus généreusement certaines résiliations. Ainsi en est-il de la résiliation pour motif d’intérêt général d’un marché de travaux par exemple : le CCAG prévoit une indemnisation de base à 5 % du montant hors taxe du marché diminué des paiements reçus, mais le pouvoir adjudicateur peut prévoir un montant plus élevé. Le juge y a mis toutefois une limite : le montant de l’indemnisation ne peut pas être tel qu’il dissuaderait la personne publique de faire usage de son droit de résiliation pour motif d’intérêt général. En effet, ce droit ne peut être écarté contractuellement (CE, 2 mai 1958, Commune de Magnac-Laval, no 32401).

II. L’intérêt général, protecteur de la mutabilité et de la continuité du service public

L’intérêt général est l’autre borne de la résiliation, en cela qu’elle peut en justifier comme en limiter l’utilisation. Le juge administratif en a récemment montré de nouvelles facettes dans les contrats. Cette notion est traditionnellement prise sous l’angle du motif de la résiliation sans faute du contractant, pour permettre l’application de deux « lois » du service public : la mutabilité et la continuité. La mutabilité est au cœur de la résiliation pour intérêt général. Parmi les pouvoirs exorbitants du droit commun offerts à l’administration contractante à ce titre figurent la modification et la résiliation. Parmi les cas d’espèces récents, la résiliation pour motif d’intérêt général a été accueillie par le juge tant pour des motifs extérieurs au marché, par exemple lorsqu’ont été découvertes des ruines archéologiques (CAA Marseille, 10 juin 2014, no 11MA00857) ou l’annulation du permis de construire (CAA Douai, 6 mars 2014, no 12DA01372), ou bien pour des motifs internes à la passation du contrat, comme par exemple en raison de l'irrégularité de la passation de celui-ci en l'absence de toute procédure de publicité et de mise en concurrence (CAA Nantes, 11 avril 2014, Établissement public Agrocampus Ouest, no 12NT00053) ou la durée du contrat, en particulier pour les marchés publics de service public. La continuité du service est protégée par l’utilisation faite par le juge de l’intérêt général dans la résiliation des marchés. En effet, depuis les arrêts Commune de Béziers de 2009 et de 2011, il est possible de faire obstacle à la résiliation si celle-ci porte une atteinte importante à l’intérêt général, eu égard à l’objectif de stabilité des relations contractuelles. Ce principe de continuité du contrat a été renforcé à l’occasion d’un contentieux portant sur un contrat entre personnes publiques (qui n’était certes pas un marché public, mais s’y applique). Le juge a expliqué qu' « une convention conclue entre deux personnes publiques relative à l'organisation du service public ou aux modalités de réalisation en commun d'un projet d'intérêt général ne peut faire l'objet d'une résiliation unilatérale que si un motif d'intérêt général le justifie, notamment en cas de bouleversement de l'équilibre de la convention ou de disparition de sa cause ; qu'en revanche, la seule apparition, au cours de l'exécution de la convention, d'un déséquilibre dans les relations entre les parties n'est pas de nature à justifier une telle résiliation » (CE, 27 février 2015, Commune de Béziers, no 357028). En octobre 2014, le Conseil d’État a également rappelé que l’intérêt général pouvait être invoqué pour permettre la continuité des relations contractuelles même si le contractant fait valablement valoir son droit contractuel à la résiliation unilatérale (CE, 8 octobre 2014, Société Grenke location, no 370644). La personne publique se trouve ainsi protégée dans les opérations d’exécution contractuelle par la notion d’intérêt général, sur laquelle le pouvoir adjudicateur peut s’appuyer pour interrompre un contrat mettant en péril ses intérêts ou au contraire faire poursuivre un contrat irrégulier ou aux conséquences difficiles pour son contractant. Soit un rappel que dans un contrat administratif, l’égalité des parties n’existe pas ! Sources :