Les opérations de crédits au titre d’un marché public

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Lorsqu’un pouvoir adjudicateur attribue un marché public à une entreprise, il lui donne du travail mais il lui procure aussi un moyen immédiat d’améliorer sa trésorerie par le jeu des cessions ou du nantissement de créances. En ces temps où beaucoup d’entreprises peinent à trouver des financements pour assurer leur survie, un éclairage sur les opérations de crédits liés à la dévolution d’un marché public nous semble pertinent. Nous préciserons d'abord les notions de cession, de nantissement et d'affacturage (1), puis nous aborderons le formalisme spécifique lié aux cessions de créances résultant d’un marché public (2) et, enfin, leur impact sur l’exécution du marché (3).

I. Cession, nantissement et affacturage : explications

La cession de créance consiste dans une convention par laquelle un créancier, appelé « cédant », transmet sa créance contre son débiteur, ou« cédé », à un tiers, aussi dénommé « cessionnaire ». Elle permet à l’entreprise titulaire de valoriser le marché dont elle est attributaire avant même l’exécution et le paiement de celui-ci. Les entreprises qui ont des problèmes de trésorerie trouvent là un moyen pratique d’obtenir un financement ou des liquidités.Il existe deux types de créances : la créance de droit commun prévue par le Code civil à l’article 1690 et la créance professionnelle instituée par la loi du 2 janvier 1981, modifiée par la loi bancaire de 1984, dite loi « Dailly », aujourd’hui codifiée aux articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier. La cession de créance du Code civil, d’un formalisme important, est par suite peu utilisée. De façon ordinaire, c’est la cession simplifiée réservée aux organismes bancaires, dite cession « Dailly », qui est couramment pratiquée. L’article L. 313-23 du Code monétaire et financier dispose que : « Tout crédit qu'un établissement de crédit consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, [...] peut donner lieu au profit de cet établissement, par la seule remise d'un bordereau, à la cession ou au nantissement par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne morale de droit public ou de droit privé ou personne physique dans l'exercice par celle-ci de son activité professionnelle ».À la différence de la cession, le nantissement d’une créance consiste à donner une créance en garantie à l’organisme bancaire afin d’obtenir un crédit.Aussi, la créance peut être cédée en vertu d'un contrat d'affacturage, par lequel un factor (l’établissement de crédit) gère le poste clients d'une entreprise en achetant ses factures, en recouvrant ses créances et en garantissant les créances sur ses débiteurs. Ce service est rémunéré par une commission sur le montant des factures.

II. Le formalisme des cessions et nantissements issus d’un marché public

Les cessions et nantissements s’opèrent par simple remise du bordereau « Dailly » de l’entreprise à l’établissement de crédit. L'adage civiliste selon lequel « simple transport ne saisit point » signifie qu’une cession de créance n’est opposable au débiteur cédé que si celui-ci en a connaissance. En effet, l’article 1690, alinéa 1er, du Code civil indique que « le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport [de la créance] faite au débiteur ». L’article 107 du Code des marchés publics prévoit la même obligation : « Le bénéficiaire d'une cession ou d'un nantissement de créance au titre d'un marché public notifie ou signifie cette cession ou ce nantissement au comptable public assignataire ». Il va cependant plus loin et, afin que tant l’ordonnateur que le comptable ne soient pas amenés à payer deux fois la même créance, l’article 106 du Code des marchés publics prévoit que « l'exemplaire unique ou le certificat de cessibilité est remis par l'organisme bénéficiaire de la cession ou du nantissement au comptable assignataire en tant que pièce justificative pour le paiement ».L’exemplaire unique ou le certificat de cessibilité sont des pièces elles-mêmes délivrées par le pouvoir adjudicateur suite à la notification du marché, comme le prévoit l’article 106 du CMP. L’exemplaire unique consiste en une copie de l’original du marché revêtue de la mention « exemplaire unique », de la signature du pouvoir adjudicateur et de l’indication du montant TTC maximum de la créance que le titulaire est autorisé à céder ou à nantir. En effet, les sous-traitants bénéficiant du paiement direct peuvent eux aussi céder leur créance, et le titulaire doit donc déduire du montant du marché les montants sous-traités. En cas de groupement, chaque membre de celui-ci peut céder sa créance et demander un exemplaire unique si les prestations sont individualisées. En cas de bons de commande ou de tranches, le titulaire peut, au choix, demander l’exemplaire unique ou le certificat de cessibilité pour le marché ou pour chaque bon de commande ou tranche.Il appartient alors à l’établissement de crédit d'envoyer, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ce bordereau ainsi que l’exemplaire unique ou le certificat de cessibilité au comptable assignataire du marché.L’exemplaire unique ou le certificat de cessibilité de créances sont des documents propres au droit des marchés publics ayant pour but de permettre la cession de créances. L’article 106 du Code des marchés publics prévoit que le pouvoir adjudicateur remet à la demande du titulaire du marché soit l’exemplaire unique, soit le certificat de cessibilité et non les deux. Le certificat de cessibilité est un nouveau formulaire officiel (NOTI 6), institué par un arrêté du 28 août 2006, en même temps que le Code des marchés publics de 2006. Le dispositif de l’exemplaire unique ou certificat a pour but d’empêcher que la même créance soit cédée plusieurs fois. Il convient donc que le service marché du pouvoir adjudicateur fasse un strict suivi de ces documents délivrés au titre d’un marché, surtout lorsque la part respective des entreprises (titulaire, co-traitants, sous-traitants) est modifiée en cours d’exécution du marché. Pour cela, l’ordonnateur doit, préalablement à tout changement, demander restitution de l’exemplaire unique (ou du certificat de cessibilité) détenu par le titulaire du marché et l’annoter. Si la créance correspondant à l’objet du marché a déjà fait l’objet d’une cession, il faut que le cessionnaire produise une main-levée, telle qu’elle permette le paiement direct.

III. Les conséquences sur l’exécution du marché

À compter de leur notification faite dans les formes au comptable assignataire, les mandats sont toujours effectués au nom du titulaire ou du sous-traitant, mais le paiement est directement adressé à l’établissement de crédit. Pourtant, la banque n’a pas plus de droits que le titulaire du marché.Comme l’explique une fiche de la direction des Affaires juridiques du ministère de l'Économie sur la cession de créances issues d'un marché public, « le pouvoir adjudicateur poursuit l’exécution financière du marché avec le cessionnaire de la même façon qu’il l’aurait fait avec le cédant. Le remboursement de l’avance versée au titulaire doit ainsi être déduite du montant de la créance due au cessionnaire. Au contraire, l’avance, qui fait partie intégrante du marché, sera due au cessionnaire à compter de la notification ou de la signification régulière de la cession. De même, les pénalités de retard imposées par le pouvoir adjudicateur s’imputent sur le montant de la créance due au cessionnaire. Ce dernier ne peut contester la prise en compte des pénalités de retard au motif qu’elles sont postérieures à la notification ou à la signification. Dans le cadre d’un marché de travaux, le cessionnaire ne peut prétendre à d’autres droits que ceux définis dans le décompte général et définitif ».Ce n’est qu’en cas d’acceptation de la cession (ce qui ne concerne pas le nantissement) par le pouvoir adjudicateur par le biais d’un « acte d’acceptation de la cession de créance professionnelle » que le pouvoir adjudicateur s’engage à régler le montant de la créance de façon certaine. Cette formalité, prévue à l’article L. 313-29 du Code monétaire et financier, est faite à la demande du cessionnaire (l’établissement de crédit) mais le débiteur (le pouvoir adjudicateur) n’est pas tenu d’y faire droit.Sources :