La résiliation : fondements et limites

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La résiliation est le pouvoir de sanction le plus fort dont dispose l'administration dans le cadre de ses rapports contractuels. Trois cas de résiliation sont à distinguer : la résiliation sans faute (I), la résiliation pour faute (II) et la résiliation du fait de circonstances particulières (III). Ce pouvoir de sanction inégalé peut être aménagé par le pouvoir adjudicateur, en prévoyant un dispositif  contractuel spécifique dans le marché, mais sous réserve du contrôle du juge (IV).

I. La résiliation sans faute : le droit à l’indemnisation

Le pouvoir de mettre fin au marché pour l’avenir, sous condition d’indemnisation du titulaire, a toujours été admise (CE, 17 mars 1864, Paul Dupont, D., 1864.3.87). Il est même devenu un principe général du droit administratif, ce qui signifie que la résiliation unilatérale peut s’appliquer même sans disposition contractuelle le prévoyant (CE, 2 mai 1958, Distillerie Magnac-Laval, Rec., p. 246). Pour être mise en œuvre, elle doit être fondée sur un motif d’intérêt général, comme l’abandon d’un projet, une modification de la réglementation ou la réorganisation d’un service public.Par ailleurs, la résiliation unilatérale a pour contrepartie l’obligation d’indemniser le titulaire du marché du préjudice subi. Il s'agit d’une application classique de la responsabilité administrative pour fait du prince. À ce titre, le titulaire a le droit à être indemnisé du damnum emergens et du lucrum cessans, c'est-à-dire des dommages nés comme des investissements déjà engagés et du manque à gagner.

II. La résiliation pour faute : le droit au respect du contradictoire

La résiliation pour faute – comme la résiliation sans faute – peut être mise en œuvre dans le silence du contrat. Aussi, même si les cahiers des clauses administratives générales énumèrent les cas précis permettant au pouvoir adjudicateur de résilier pour faute, le juge considère que cette liste n’est pas limitative.Dans la mesure où la résiliation vient ici sanctionner une faute commise par le titulaire du marché, celui-ci doit pouvoir se défendre et contester. Ainsi la jurisprudence reconnaît-elle le principe des droits de la défense du cocontractant de l’administration (CE, 13 avril 1988, Fédération nationale des établissements d’enseignement catholique, Rec., p. 117).Les cahiers des clauses administratives générales (CCAG), quant à eux, instituent une procédure contradictoire selon laquelle le pouvoir adjudicateur a l’obligation de précéder sa résiliation d’une mise en demeure par laquelle le titulaire est informé des manquements qui lui sont reprochés. Le courrier doit impérativement mentionner un délai, une obligation de faire et une sanction en l'absence de l'exécution de cette dernière. Ce n’est que si cette mise en demeure se révèle inefficace que le pouvoir adjudicateur pourra résilier le marché.

III. La résiliation du fait de circonstances particulières

La résiliation peut tout d'abord résulter de circonstances rendant l’exécution du contrat impossible sans qu’une faute soit imputable au titulaire du marché. Ces cas sont listés par les CCAG qui distinguent les événements extérieurs au marché que sont le décès, l’incapacité civile du titulaire, le redressement judiciaire, la liquidation judiciaire (à noter que les CCAG oublient la procédure de sauvegarde) des événements liés au marché, comme la difficulté d’exécution du marché et l’ordre de service tardif. La résiliation en cas d’ouverture d’une procédure collective ne peut intervenir qu’après mise en demeure de l’administrateur ou du liquidateur, restée plus d’un mois sans réponse, conformément aux articles L. 622-13 du Code de commerce pour la procédure de sauvegarde et le redressement judiciaire et L. 641-11-1 du Code de commerce pour la liquidation.La résiliation peut aussi faire suite à des difficultés d’exécution du marché. Il s'agit d'une application du principe de la « force majeure administrative » posé par l’arrêt du Conseil d’État du 9 décembre 1932, Compagnie des Tramways de Cherbourg. La force majeure permet au titulaire du marché de demander la résiliation au juge administratif du contrat devenu inéquitable en cours d’exécution. Alors que les anciens CCAG ne prévoyaient que l’impossibilité d’exécution, les nouveaux CCAG envisagent désormais la difficulté d’exécution. Ainsi, l’article 31 du CCAG Fournitures courantes et services (FCS) prévoit que « lorsque le titulaire rencontre, au cours de l'exécution des prestations, des difficultés techniques particulières dont la solution nécessiterait la mise en œuvre de moyens hors de proportion avec le montant du marché, le pouvoir adjudicateur peut résilier le marché, de sa propre initiative ou à la demande du titulaire. Lorsque le titulaire est mis dans l'impossibilité d'exécuter le marché du fait d'un événement ayant le caractère de force majeure, le pouvoir adjudicateur résilie le marché ». Toutefois, le CCAG reste silencieux sur l’indemnité de résiliation en la matière, laquelle dépendra des circonstances.Enfin, la résiliation pour ordre de service tardif est une innovation des CCAG de 2009. Dans cette hypothèse, le pouvoir adjudicateur se retrouve contractuellement obligé de résilier le marché si le titulaire le lui demande. Tel peut être le cas lorsque l’opérateur économique propose un démarrage des prestations que le pouvoir adjudicateur refuse, alors que plus de six mois se sont écoulés depuis la notification du marché. Côté indemnisation, seul le remboursement des frais exposés par l’entreprise est prévu par les CCAG.

IV. L’aménagement contractuel de la résiliation et ses limites

La résiliation connaît des aménagements contractuels, qui sont à la fois prévus par les CCAG et, très souvent, par le pouvoir adjudicateur lui-même dans le cadre des pièces particulières du marché.Ainsi, pour les cas de résiliation sans faute (résiliation pour motif d’intérêt général), les CCAG, tout en visant le remboursement des investissement engagés (damnum emergens), instituent par défaut une indemnisation de 5 % de la valeur de la partie du marché non exécutée et non révisée, sauf si les pièces particulières ont prévu un pourcentage différent. Cette indemnisation correspond au lucrum cessans.Pour les résiliations pour faute ou en cas d’inexécution d’une prestation ne pouvant souffrir d’aucun retard, les CCAG prévoient que le pouvoir adjudicateur peut imputer au titulaire du marché résilié le surcoût engendré par le marché de substitution. Les CCAG précisent que cette résiliation aux frais et risques du titulaire doit avoir été prévue par les pièces particulières du marché.De même, le dispositif prévu à l’article 20 du CCAG Prestations intellectuelles (PI) permet au pouvoir adjudicateur, de façon discrétionnaire, de mettre fin au contrat à l'issue d’une phase ou d’un élément de mission, si le contrat le stipule. Il précise également que cet arrêt des prestations ne donne pas lieu à indemnité. En effet, le Conseil d’État, par une décision du 10 décembre 1982, ainsi que la cour administrative d'appel de Nancy, par un arrêt du 18 avril 2002, ont admis une résiliation dans l’intérêt du service public sans indemnité dans la mesure où cette faculté avait été prévue par le pouvoir adjudicateur dans le contrat. Néanmoins, les dispositifs contractuels sur la résiliation peuvent être corrigés par le juge administratif sur le terrain indemnitaire (CE, 24 novembre 1972, Société Ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau, Rec., p. 753). La décision de résiliation donne lieu, selon les circonstances, à l'octroi d'une indemnité compensatrice pour l'opérateur économique. Si, traditionnellement, le juge administratif n’a pas le pouvoir d’annuler les mesures d’exécution du contrat, il lui appartient de rechercher si ces actes ont été pris dans des conditions de nature à ouvrir, au profit de l’opérateur économique, un droit à indemnité.Mais récemment, par une décision du 21 mars 2011, le Conseil d’État a été plus loin dans son contrôle et s'est reconnu le pouvoir, désormais, d’annuler les mesures d’exécution du contrat et, plus spécifiquement, la décision de résiliation elle-même (CE, 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806 ; Stéphane Derouin, « Béziers 2 – Résiliation 0 », CJFI, n° 65, 2011).

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