Recommandation de la Commission européenne sur la professionnalisation de la passation des marchés publics

Par François Fourmeaux

Publié le

Comment optimiser au maximum l’efficacité de l’achat public, notamment grâce aux différents outils offerts par les directives « marchés » de 2014 ? Telle est la question à laquelle la Commission européenne cherche à répondre par les préconisations formulées dans sa recommandation du 3 octobre dernier. En effet, alors que les dernières directives contiennent un panel de dispositifs permettant de rendre l’achat public plus efficient et stratégique (l’on peut penser au « sourcing », ou à l’aboutissement du mouvement de dématérialisation des procédures), encore faut-il que, dans les faits, le potentiel de ces outils puisse être pleinement exploité. C’est la raison pour laquelle la Commission entend ici proposer un programme de professionnalisation de l’achat public.

Au préalable, la Commission part d’un double constat. D’une part, en raison du poids économique qu’ils représentent, les marchés publics constituent un levier essentiel du marché unique, de la croissance et de la création d’emplois. D’autre part, les marchés sont à l’aune de nouveaux défis : une utilisation toujours plus optimisée des deniers publics ; le développement du numérique ; ou encore la contribution des marchés publics à des « valeurs sociétales, tels que l’innovation, l’inclusion sociale et la durabilité économique et environnementale ».

Ce faisant, la recommandation a pour objectif de mettre sur pieds une méthode de professionnalisation fondée sur « une démarche stratégique globale s’articulant autour de trois objectifs complémentaires ».

En premier lieu, il est recommandé aux États membres de définir une « stratégie de professionnalisation des marchés publics ». Cette stratégie, qui devra requérir un « soutien politique de haut niveau », doit avoir pour objectif « d’attirer, de développer et de retenir les compétences, de mettre l’accent sur la performance et les résultats stratégiques et de tirer le meilleur parti des outils et techniques disponibles ». Entre autres pistes suggérées : une meilleure coordination des services ou des pouvoirs adjudicateurs entre eux, le partage de connaissances, ou encore l’encouragement du recours aux expertises offertes par les établissements de formation ou les centrales d’achat.

En deuxième lieu, la professionnalisation doit comporter un volet « humain », à savoir une amélioration de la formation et de la gestion de carrière des praticiens de la passation des marchés. Ainsi, au-delà des grandes lignes stratégiques que les États sont invités à définir, la Commission met en exergue l’importance qu’il y a pour les personnels affectés à l’achat public de satisfaire un niveau de référence d’« aptitudes » et de « compétences » (qui devra être déterminé). Cela passe, tout d’abord, par une formation – initiale et continue – adéquate, et ce dès le stade des cycles universitaires. Mais, outre la question de l’acquisition des compétences techniques, la Commission a pour souci de « mettre en place une structure de carrière […] en vue de rendre attrayante la fonction de passation des marchés publics et de motiver les fonctionnaires à atteindre les résultats stratégiques ». Cela peut passer, concrètement, par des régimes de reconnaissance ou de certification, ou des prix d’excellence destinés à récompenser des bonnes pratiques par exemple.

En troisième lieu, enfin, la professionnalisation passe par un volet matériel, à savoir la mise à disposition d’« outils et processus de passation intelligente des marchés ». Il est tout d’abord question ici d’exploiter le potentiel offert par le numérique et la dématérialisation. La Commission recommande ainsi la création de portails en ligne permettant l’accès à l’information, ou la promotion d’une « approche stratégique de la numérisation au moyen de la normalisation, du partage, de la réutilisation et de l’interopérabilité des produits et des services ». Outre les outils techniques, la Commission s’attarde sur la question des méthodes, en vue de favoriser l’intégrité, la transparence, et la prévention des irrégularités. Les moyens pour y parvenir peuvent être l’élaboration de « codes de déontologie », la mise en place de systèmes de dénonciations de dysfonctionnements pour prévenir la fraude, ou l’élaboration de documents de recensement des bonnes pratiques.

Sur les bases de ces trois grandes orientations, les États sont donc invités à informer la Commission des mesures qui seront prises pour donner suite à cette recommandation. Pour ce qui concerne la France, des initiatives telles que le plan national de transformation numérique de la commande publique, toujours au stade de projet, pourrait s’inscrire dans cette lignée. Pour le reste, si un certain nombre d’actions en termes d’échanges de connaissances ou de bonnes pratiques sont par exemple déjà menées à l’échelon local, il est probablement difficile de caractériser aujourd’hui l’existence d’une véritable stratégie globale et nationale de professionnalisation au sens de la recommandation. Or, par le passé, des préconisations similaires à celles contenues dans la recommandation avaient déjà été formulées au gouvernement par le Conseil d’analyse économique (CAE) dans une note de 2015 (la recommandation n° 8 visait, précisément, la nécessité de professionnalisation de l’achat public). Peut-être que, cette fois, le sujet sera davantage pris au sérieux.

Quant à la Commission européenne, c’est visiblement avec un souci renouvelé qu’elle s’est saisie de la question de l’efficacité et de l’optimisation de l’achat public car, outre la recommandation, elle a aussi publié le 3 octobre dernier :

  • d’une part, une communication intitulée « Faire des marchés publics un outil efficace au service de l'Europe », dans laquelle elle détaille 6 priorités stratégiques, dont la professionnalisation des acheteurs publics ;
  • d’autre part, une consultation sur la stimulation de l'innovation au moyen des marchés publics. Ouverte jusqu'au 31 décembre, cette consultation « alimentera les orientations qui seront adressées aux autorités publiques, portant notamment sur la manière de définir une stratégie, d'organiser le soutien à des achats publics à visée innovante ou d'utiliser des outils de passation de marchés axés sur l'innovation ».

L’avenir nous dira dans quelle mesure les gouvernements des États membres, sur ces nouvelles impulsions de la Commission, voudront bien prendre une part active à la détermination d’une politique globale de professionnalisation, au service d’un achat public efficient et innovant.

Sources :