Printemps du contentieux des contrats : la révolution du Conseil d’État

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Dans le cadre du contentieux administratif, une petite révolution s’est jouée au tout début du printemps. Suivant les conclusions du rapporteur public Bertrand Dacosta, le Conseil d’État a élargi une jurisprudence récente et fait disparaître une antique décision, au profit d’une plus grande clarté.

Jusqu’au 4 avril 2014, les contrats administratifs, au nombre desquels comptent les marchés publics, pouvaient voir leur validité être contestée par quatre grands types de recours : le recours contre le processus de passation lui-même, en utilisant les référés précontractuel voire contractuel prévus par le Code de justice administrative, le recours contre les actes détachables du contrat, c'est-à-dire les actes administratifs unilatéraux qui avaient présidé à la décision de passer le contrat, le déféré préfectoral et le recours Tropic. Si la classification classique est suivie, la typologie est d’un recours pour excès de pouvoir (issu de la jurisprudence Sieur Martin) contre trois recours de plein contentieux. Or, par l’arrêt Département du Tarn-et-Garonne de 2014, les recours contre les marchés publics sont désormais tous des recours de plein contentieux, sans qu’ils soient pour autant tous des recours subjectifs. La distinction est subtile, mais très importante.

Un élargissement sensible des types de requérants

Lorsque le lecteur s’arrête sur les personnes recevables à formuler un recours contre la validité du contrat, l’évolution est remarquable. Beaucoup diront en effet que tous les tiers au contrat sont recevables à former un recours contre un marché public à compter du début avril 2014. Tel n’est pas tout à fait le cas en réalité.

Les tiers recevables à former un recours sont ceux dont la conclusion du contrat est susceptible de léser un intérêt de manière suffisamment directe et certaine. Les concurrents évincés, qui étaient seuls admis à saisir le juge depuis le 16 juillet 2007, en font partie. Mais également les contribuables locaux et les usagers du service.

En plus de ces requérants invoquant un intérêt subjectif s’ajoutent des requérants invoquant un intérêt objectif, celui de la protection de l’intérêt général : les élus locaux et le représentant de l’État peuvent également saisir le juge d’un recours Tarn-et-Garonne.

Des moyens invocables subjectifs ou objectifs

Les moyens invocables à l’appui du recours évoluent également. Les tiers ordinaires ne peuvent invoquer contre le contrat que des moyens ayant un lien avec leur intérêt lésé ou tout moyen que le juge peut relever d’office. Les concurrents évincés qui avaient, jusqu’alors, le droit de soulever tout moyen pour contester tout ou partie du contrat, voient ainsi leurs possibilités de succès se réduire. Concurremment, et comme cela avait été le cas lors de l’ouverture du recours Tropic, il devient impossible à ces tiers de contester par la voie du recours pour excès de pouvoir les actes détachables du contrat. Mais demander l’annulation du contrat en contestant la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et/ou de la décision de le signer reste possible en utilisant uniquement le recours Tarn-et-Garonne.

À l’inverse, élus locaux et préfets peuvent invoquer tous les moyens qu’ils souhaitent, renforçant leur caractère de défenseurs de l’intérêt général. Si ces requérants spéciaux pouvaient déjà contester soit les actes détachables (pour les élus locaux depuis les jurisprudences Casanova et Sieur Martin), soit le contrat en lui-même (pour le préfet par le déféré préfectoral depuis 1982), ils se voient ouvrir également le recours Tropic, sous un angle plus large que les tiers.

Néanmoins, les élus locaux perdent le droit de contester les actes détachables avant la signature du contrat, alors que le préfet le conserve.

Une application modulée par le juge

L’effet du recours, bien que largement ouvert, ne sera pas nécessairement l’annulation du contrat. Comme le rappelle le juge, le principe de loyauté contractuelle s’applique, de telle sorte que la solution en trois temps de la jurisprudence Commune de Béziers atténue les risques d’annulation. Le juge pourra soit permettre les parties à continuer l’exécution du contrat, sous réserve de rectifications, soit le résilier (éventuellement en modulant dans le temps les effets de résiliation) soit, en raison du caractère illicite du contrat ou d’un vice d’une particulière gravité, en prononcer l’annulation.

Comme lors de la décision Tropic, et suivant en cela des jurisprudences désormais très connues, le juge module les effets dans le temps de sa jurisprudence afin d’assurer la sécurité juridique.

La jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne ne s’appliquera qu’aux contrats conclus après la lecture de la décision (soit à compter du 5 avril 2014), de même que les recours pour excès de pouvoir engagés contre les actes détachables avant le 4 avril ne sont pas dépourvus d’objets.

Cette situation est sans doute celle qui posera le plus de problèmes aux pouvoirs adjudicateurs. Si les marchés qui seront lancés à compter du début du mois d’avril permettent d’introduire des informations sur ce nouveau recours, cela n’est pas le cas pour les marchés dont la procédure s’étale dans la période intermédiaire.

Le Conseil d’État précise à leur égard que les recours pour excès de pouvoir et les recours Tropic lancés contre eux gardent leur objet. De même, bien que cela soit moins explicite dans la décision, pour les contrats signés avant le 4 avril 2014, et qui n'ont pas encore été attaqués, l'ancien régime demeure. Dès lors, les mentions sur les délais et voies de recours portées sur les courriers d'information aux candidats de ces marchés restent valides.

En revanche, pour tous les contrats dont la procédure de passation était en cours au 4 avril (et qui n'ont été ou ne seront signés qu'ensuite), le nouveau régime contentieux s'applique. Et le principe de loyauté contractuelle permettra d'écarter les moyens portant sur une information des concurrents non conforme à la nouvelle jurisprudence, qui n'était pas connue du pouvoir adjudicateur au moment de la procédure de passation.

Schématiquement, le panorama du contentieux des marchés publics s’éclaircit : les contrats ne peuvent plus être attaqués par les tiers que par des recours de plein contentieux. Ceux-ci peuvent prendre la forme du référé (précontractuel ou contractuel) ou d’un recours devant le juge du fond (déféré préfectoral ou recours Tarn-et-Garonne). Surtout, les risques contentieux se limitent à deux occasions pour les pouvoirs adjudicateurs : en amont de la signature du contrat, dans le délai très court dit « de stand-still », ou en aval, dans un délai de deux mois à compter de sa signature même pour les marchés de travaux publics. Deux exceptions notables néanmoins : le déféré préfectoral, qui ne disparaît pas, et le référé contractuel.

Sources :