Loi « Sapin 2 » : les évolutions du texte au Sénat survivront-elles à l’échec en CMP ?

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L’échec de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique rend nécessaire de nouvelles navettes entre les deux chambres. Alors que le texte prévoit des évolutions pour la commande publique, la nouvelle phase de travail qui s’ouvre pour le législateur est-elle susceptible de remettre en cause ce qui avait été prévu initialement ?

Le texte a profondément évolué depuis son passage devant le Sénat. Le projet de loi initial comportait des dispositions portant à la fois ratification de l’ordonnance relative aux contrats de concession et l’habilitation du gouvernement à créer, par voie d’ordonnance, un Code de la commande publique. Cette codification serait opérée à droit constant… mais elle devra prendre en compte les dispositions ajoutées par voie d’amendements. S’il n’est pas certain que l’Assemblée nationale les conserve, François Pillet, vice-président de la commission des lois du Sénat a appelé ses collègues parlementaires à conserver ces dispositions nouvelles.

Allotissement, critère unique d’attribution et offres anormalement basses : vers des textes plus précis

La première évolution dans le droit positif serait l’interdiction de proposer des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus. Les dispositions applicables depuis le 1er avril 2016 le permettent, avec pour effet de contourner le principe de l’allotissement et la volonté politique d’ouvrir les marchés plus largement aux petites et moyennes entreprises.

Une grande entreprise est techniquement et financièrement capable de proposer des prix plus faibles que ses concurrents, à la condition de remporter tout ou une grande partie des lots du marché. À qualité égale des prestations, une grande entreprise sera ainsi favorisée, par rapport à des entreprises qui ne peuvent répondre qu’à un lot par exemple. La disposition proposée dans le projet de loi provient d’un amendement en commission, dont l’ambition était « de trouver un meilleur équilibre entre les marchés allotis, d’une part, et les marchés globaux et de partenariat, d’autre part, tout [en] ne réduisant pas la ‘‘boîte à outils’’ à disposition des acheteurs publics. »

La deuxième évolution, précisant les conditions de dérogations au principe de l’allotissement, fut insérée dans le texte par le même amendement. Si le texte était adopté en l’état, les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision de ne pas allotir devraient être précisées par le pouvoir adjudicateur.

La dernière version du projet de loi précisait également les conditions d’utilisation d’un critère unique pour attribuer le marché. Dans l’ordonnance actuelle, il est seulement précisé que le marché est attribué au candidat qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base d’un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du marché public ou à ses conditions d’exécution. C’est le décret d’application du 25 mars 2016 qui limite la possibilité de recourir à un critère unique. Ne sont utilisables comme critère unique que, d’une part, le prix (à condition que le marché public ait pour seul objet l’achat de services ou de fournitures standardisés dont la qualité est insusceptible de variation d’un opérateur économique à l’autre), ou le coût, selon une approche globale fondée sur l’analyse du cycle de vie d’autre part (voir article 62-II du décret). La modification annoncée de l’ordonnance aurait pour effet de donner une valeur législative à cette disposition relevant actuellement du décret pour la rajouter à l’ordonnance.

Le législateur fait également œuvre de précision en encadrant davantage l’action des pouvoirs adjudicateurs en matière d’offres anormalement basses. Le texte projette une obligation de moyen sur les acheteurs en leur imposant de mettre en œuvre « tous moyens » pour détecter et écarter de telles offres. Sans doute conscient des difficultés matérielles d’application de cette obligation, il renvoie au pouvoir réglementaire le soin de définir précisément ce qu’est une offre anormalement basse et de construire une méthode de détection. Sans doute l’article 60 du décret du 25 mars n’est-il pas suffisant…

Les offices publics de l’habitat : des acheteurs publics pas comme les autres

La spécificité des marchés passés par les offices publics de l’habitat est renforcée. D’une part, ils se verraient fermer la possibilité de verser des avances, des acomptes et des règlements partiels définitifs ou de solde et d’autre part, la composition de leur commission d’appel d’offres quitterait le droit commun pour être définie par voie réglementaire.

Meilleure identification des équipes de maîtrise d’œuvre, garantie obligatoire des sous-traitants et une meilleure définition de l’indemnisation en cas d’annulation, suppression de l’évaluation préalable pour tous les marchés au-dessus de 100 millions d’euros

L’article 40 de l’ordonnance, obligeant à une évaluation préalable pour tout marché public dont les investissements sont supérieurs à 100 millions d’euros (voir art. 24 du décret relatif aux marchés publics complétant l’article 40 de l’ordonnance) afin de comparer les modes de réalisation possibles d’un projet, c’est-à-dire afin de choisir entre marché de partenariat et marchés classiques, serait supprimé. Cela aurait pour effet de ne pas alourdir le travail de l’acheteur tout en maintenant l’obligation de cette évaluation préalable lorsque l’acheteur souhaite réaliser un marché de partenariat puisque le principe de cette évaluation est réécrit par le projet d’ordonnance à l’article 74 de cette même ordonnance (l’article 74 décrit les conditions à remplir pour engager un marché de partenariat).

Par ailleurs, il est proposé que lorsque l’acheteur confie tout ou partie de la conception des ouvrages au titulaire, les conditions d’exécution du marché comprennent l’obligation d’identifier une équipe de maîtrise d’œuvre chargée de la conception des ouvrages et du suivi de leur réalisation d’une part, et d’autre part qu’une évaluation ayant pour objet de comparer les différents modes envisageables de réalisation du projet soit menée, comportant une analyse en coût complet et tout élément permettant d’éclairer l’acheteur dans le choix du mode de réalisation de ce projet.

Cette disposition a été insérée afin de renforcer l’indépendance de la maîtrise d’œuvre comme « élément de garantie de la qualité technique et architecturale de la conception et de la réalisation d’un projet de construction » selon le sénateur Sueur, tout en mettant en conformité l’ordonnance de 2015 avec la future loi « liberté de création et patrimoine ».

Les conditions d’exécution des marchés de partenariat pourraient évoluer à la marge. Le titulaire du marché de partenariat serait dans l’obligation de garantir au prestataire qui en fait la demande le paiement des sommes dues, et non pas à la seule demande du sous-traitant, comme tel est le cas en droit positif.

Les conditions d’indemnisation du titulaire d’un marché de partenariat après annulation de celui-ci par le juge sur le recours d’un tiers sont également précisées. L’indemnisation comprendra les dépenses engagées conformément au contrat dès lors qu’elles ont été utiles à l’acheteur dont les frais liés au financement mis en place dans le cadre de l’exécution du contrat y compris, le cas échéant, les coûts pour le titulaire afférents aux instruments de financement et résultant de la fin anticipée du contrat. L’indemnisation des frais de financement est conditionnée par l’inscription dans les annexes du marché des principales caractéristiques des financements à mettre en place pour les besoins de l’exécution du marché. La clause d’indemnisation sera par ailleurs divisible du marché : l’annulation de celui-ci n’entraîne pas la chute de celles-là !

Ces dispositions sont examinées par l’Assemblée nationale depuis le mercredi 28 septembre. Selon les positions de Michel Sapin, exposées en ouverture des travaux en séance plénière, les différents entre les deux chambres portent sur des dispositions éloignées des marchés publics. Reste que si le Sénat et l’Assemblée nationale ne parvenaient pas à trouver un accord à l’issue d’une ultime navette, ce seront les députés qui auront le dernier mot.

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