Litige franco-anglais : comment arbitrer ?

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Comment régler un litige concernant un marché public dont les parties appartiennent à deux pays différents ? Une telle affaire se présente rarement au Conseil d’État. Ce dernier a pourtant dû se pencher sur le sujet à l'occasion d'un recours du syndicat mixte des aéroports de Charente contre la société Ryanair.

Retour sur les faits. En 2008, le syndicat mixte des aéroports de Charente (SMAC) conclut un marché avec la société Ryanair Limited et la société Airport Marketing Services Limited, sa filiale à 100 %. Il s'agit de deux conventions développant une liaison aérienne entre les aéroports de Londres-Stansted et d'Angoulême. Des conventions soumises au droit français, mais qui prévoient le recours à l'arbitrage auprès de la Cour d'arbitrage international de Londres en cas de litige non résolu à l'amiable « découlant de ou en relation avec la Convention, y compris toute question concernant son existence, sa validité ou sa résiliation ». Or en 2010, alors que la ligne aérienne fonctionne depuis deux ans, Ryanair résilie les deux conventions, mettant fin au contrat. Le SMAC saisit alors à la fois la juridiction arbitrale de Londres et le tribunal administratif de Poitiers.

La Cour d'arbitrage international de Londres tranche en faveur de la société Ryanair. Elle se déclare compétente pour juger l'affaire puis confirme la validité de la résiliation des deux conventions. Côté français, l'affaire est portée devant le Conseil d’État qui, lui, se déclare incompétent. Dans son arrêt du 19 avril 2013, le Conseil d’État explique en effet que « dans le cas où la sentence arbitrale a été rendue par une juridiction siégeant à l'étranger, la juridiction administrative française est en revanche incompétente pour connaître d'un recours dirigé contre cette sentence ». Or, la Cour d'arbitrage de Londres avait refusé de surseoir à statuer dans l'attente de l'aboutissement du recours du SMAC devant le juge administratif. Londres ayant tranché en faveur de Ryanair, le Conseil d’État n'est alors pas compétent pour juger du recours et de son éventuel passage en cassation.

Dans un cas comme celui-ci, le pouvoir adjudicateur français a peu de moyens d'action dès lors que les conditions du marché ouvrent la possibilité à une juridiction étrangère de trancher. En l'espèce, le contrat qui liait le syndicat mixte à la société Ryanair prévoyait l'intervention d'une juridiction d'arbitrage anglaise, sans doute plus favorable à Ryanair que ne l'aurait été une juridiction française, principalement parce que la gestion des litiges dans le domaine des marchés publics peut être différente d'un pays à l'autre. Faut-il alors se méfier des contrats impliquant deux pays différents ? Le risque de « forum shopping » – possibilité de saisir la juridiction la plus favorable à ses intérêts – existe, mais demeure difficile à prouver. On peut également y voir la volonté d'un pays d'attirer des litiges sur son territoire. Mais dès lors que le siège de la juridiction arbitrale est prévu au contrat, il n'appartient pas au juge administratif français de s'y opposer.

Dans cette affaire, le seul bémol apporté par le Conseil d’État concerne l'exécution de la décision arbitrale. En effet, indique le Conseil d’État, le juge administratif est toujours compétent pour examiner l'exécution de la décision issue de l'arbitrage sur son territoire. Une « exécution forcée ne saurait être autorisée si elle est contraire à l'ordre public », concède-t-il.

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