Validation d’une clause d’interprétariat : le débat sur la « clause Molière » relancé

Par François Fourmeaux

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Le débat sur la « clause Molière », que l’on croyait temporisé par l’instruction interministérielle du 27 avril dernier, vient d’être ravivé par une ordonnance du Tribunal administratif de Nantes du 7 juillet, laquelle a admis la légalité d’une clause imposant l’obligation de recourir à un interprète, pour le titulaire du marché, si le personnel présent sur le chantier ne maîtrise pas suffisamment bien la langue française.

En l’espèce, la région Pays de la Loire avait lancé une procédure adaptée pour la passation d’un marché de travaux de réfection et de mise aux normes handicapées d’un lycée. Sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-2 du Code de justice administrative, Madame le préfet a demandé au juge des référés la suppression des clauses du CCAP qui prévoyaient, en substance, l’obligation pour le titulaire de recourir à ses frais à un interprète qualifié :

  • d’une part, au bénéfice des personnels qui, « quelle que soit leur nationalité » ne disposeraient pas d’une maîtrise suffisante de la langue française pour comprendre la réglementation sociale ; cette obligation étant alors justifiée par la nécessité de permettre au maître d’ouvrage d’exercer « son obligation de prévention et de vigilance » ;
  • d’autre part, au bénéfice des personnels affectés à des tâches signalées comme présentant un risque pour la sécurité des personnes et des biens, et pour lesquels une formation spécifique serait dispensée.

Le non-respect de ces obligations était assorti de sanctions, et notamment de clauses de pénalités.

Le représentant de l’État y a vu des obligations non justifiées par l’objet du marché, disproportionnées, contraires à la libre circulation des travailleurs, à la libre prestation de service, et susceptibles de favoriser le recours à l’emploi local. Au contraire, la région affirmait, comme on peut le lire dans les visas de l’ordonnance, que ces clauses ne pouvaient être qualifiées de « clause Molière » au sens de l’instruction du 27 avril 2017, dès lors qu’elles n’imposent « pas de façon systématique la maîtrise [de] la langue française mais permettant à la région d’assurer les obligations auxquelles elle est tenue par le Code du travail en matière de protection sociale des travailleurs comme de protection de la sécurité́ de ces derniers ». De fait, ladite instruction visait les clauses ayant pour objet d’« imposer l’usage du français par les salariés des candidats aux marchés publics ».

Le juge a visiblement été sensible à l’argumentaire de la collectivité, considérant qu’au regard de l’article 38-I de l’ordonnance du 23 juillet 2015, ces clauses, tenant aux conditions d’exécution du marché, n’apparaissent pas « disproportionnées » « compte tenu de leur double objectif de protection sociale des salariés et de sécurité des travailleurs et visiteurs sur le chantier ». Il ajoute que ces clauses s’appliquent « sans discrimination, même indirecte, à toutes les entreprises soumissionnaires, quelle que soit la nationalité des personnels » et qu’il n’apparaît pas qu’elles « ne seraient pas justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, ne seraient pas propres à garantir la réalisation des objectifs qu’elles poursuivent ou iraient au-delà̀ de ce qui est nécessaire pour les atteindre ».

Pour le reste, le juge des référés a jugé comme étant inopérants, car ne relevant pas de son office, les moyens tirés de ce que les clauses litigieuses seraient constitutives d’un détournement de procédure ayant pour objet et pour effet de contrôler et sanctionner les conditions de recours au travail détaché autrement que par les dispositions spécifiquement prévues à ce titre par le Code du travail.

Une solution dont la portée doit donc, en définitive, être appréciée à sa juste valeur, mais qui ne fait qu’accroître la nécessité pour le Conseil d’État de se saisir définitivement de la question.

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