Résiliation anticipée du contrat : l’indemnisation du préjudice n’est pas systématique

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Le pouvoir de résiliation unilatérale d’un contrat administratif étant une des prérogatives reconnues à l’administration, son usage pourrait laisser sans voix le cocontractant aussitôt délié. Celui-ci n’a cependant pas à rester aphone devant le juge qui peut reconnaître l’indemnisation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait d’une telle résiliation. Encore faut-il qu’il le saisisse en bonne et due forme d’une telle demande, ainsi que le prouve une décision du Conseil d’État du 3 mars 2017.

Que serait un tribunal sans ses requêtes au greffe en double exemplaire, ou ses dossiers aux feuillets innombrables ? Comme toute juridiction, le tribunal de grande instance (TGI) de Marseille ne saurait emplir de papiers ses chemises cartonnées s’il n’avait en sa possession des photocopieurs. Un contrat conclu pour trois ans a ainsi permis la fourniture en location de quinze spécimens de ces machines par une société spécialisée dans le financement locatif d’équipements professionnels. Mais, arguant d’un motif d’intérêt général, le TGI phocéen résilie le contrat un an avant son échéance prévue. Et après un premier renvoi de l’affaire aux juges du fond, le Conseil d’État a à se prononcer sur la demande d’indemnisation du cocontractant de l’administration.

La résiliation pour motif d’intérêt général peut sembler attrayante pour la personne publique. À raison, puisqu’elle est autorisée par les « règles générales applicables aux contrats administratifs », qui lui permettent en toute occasion de faire application de son pouvoir de modification unilatérale du contrat. Deux règles rappelées par la haute juridiction doivent cependant être observées : la résiliation ne peut intervenir que « sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant », et dans le cas où l’étendue et les modalités de l’indemnisation seraient contractuellement prévues, l’indemnité ne saurait être « disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant du fait de cette résiliation » (CE, 4 mai 2011, no 334280, CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan ; CE, 22 juin 2012, no 348676, CCI de Montpellier et société aéroport de Montpellier-Méditerranée).

Cette interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités empêche en l’espèce que s’applique une clause du contrat prévoyant qu’en cas de résiliation anticipée, le bailleur puisse se voir indemniser à hauteur de l’ensemble des « loyers dus et à échoir jusqu'au terme de la durée initiale de location majorée de 10 % ». Une telle clause est illicite, ce que n’a pas manqué de souligner la cour administrative d’appel en prévenant la société que son arrêt à venir serait vraisemblablement prononcé en ce sens.

Pourtant, le cocontractant informé a entendu contester cette position du juge. Erreur maladroite, puisqu’au lieu de s’opposer à des règles générales bien ancrées dans la doctrine administrative, il lui aurait fallu demander réparation sur la base de telles règles. Il appartient en effet au cocontractant, lorsqu’il soulève l’illicéité d’une clause du contrat devant le juge, de demander dans le même temps à ce dernier « la condamnation de la personne publique à l'indemniser du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la résiliation du contrat sur le fondement des règles générales applicables, dans le silence du contrat, à l'indemnisation du cocontractant en cas de résiliation du contrat pour un motif d'intérêt général ».

Nous vous le disions dans notre précédente Lettre Légibase Marchés publics : l’indemnisation du (potentiel) cocontractant de l’administration n’est jamais systématique. Cela ne signifie pas qu’elle ne puisse être aisément acceptée, mais qu’un préjudice soit effectivement reconnu… et qu’une demande indemnitaire soit formulée. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement.

Sources :

Lire également sur Légibase Marchés publics :

  • « Absence d’indemnisation systématique du candidat évincé en cas d’irrégularité de la procédure » – La lettre Légibase Marchés publics, no 172
  • « L’indemnité disproportionnée de non-renouvellement dans les contrats administratifs » – La lettre Légibase Marchés publics, no 62