Pas de pénalisation financière du maître d’œuvre en cas de dépassement de l’estimation au vu du montant des offres

Par Mathieu Blossier

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Dans un arrêt du 26 avril 2016, le juge censure une mesure coercitive insérée dans un contrat de maîtrise d'œuvre : il considère que la réfaction de la rémunération du titulaire au cas de dépassement du niveau des offres par rapport à l’estimation définitive des travaux initialement arrêtée est contraire à la réglementation MOP (maîtrise d'œuvre privée).

La ville de Lyon avait attribué un marché de maîtrise d’œuvre pour les travaux de rénovation de la piscine de Vaise. Lors des opérations de solde du contrat, le maître d’ouvrage avait infligé au groupement une pénalité d’un « nouveau type » en se basant sur l’article 7.4 du CCAP qui sanctionnait le dépassement du coût prévisionnel par les offres les mieux disantes. La pénalité d'un montant de 26 950,04 € correspondait à 20 % du dépassement.

Imparablement, la CAA de Lyon confirme le jugement du TA et fait droit à la requête du titulaire en considérant qu' :

  • en phase AOR (assistance au maître d'ouvrage lors des opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement) : « le contrat de maîtrise d'œuvre peut prévoir une réduction de la rémunération du maître d'œuvre en cas de dépassement excédant le seuil de tolérance fixé par le contrat, dont l'existence est constatée en phase AOR, après exécution complète des travaux » ;
  • en phase ACT (assistance au maître de l'ouvrage pour la passation des contrats de travaux) : « le I de l'article 30 [...] ne prévoit pas la possibilité d'introduire dans le contrat de maîtrise d'œuvre des stipulations permettant une réduction de la rémunération du maître d'œuvre en cas de dépassement du seuil de tolérance constaté en phase ACT. »

Rappelons tout d’abord que la rémunération du maître d’œuvre est arrêtée par avenant avant le lancement de la procédure de passation des marchés. En effet, cet avenant arrête le coût prévisionnel des travaux sur lequel s'engage le maître d'œuvre tout en fixant le forfait définitif de maîtrise d'œuvre, celui-ci résultant de l'application du taux de rémunération fixé au marché de maîtrise d'œuvre appliqué à ce coût.

Cet engagement financier ne peut être contrôlé qu’à deux stades du contrat : lors de la remise des offres d’une part et après la réception des travaux d’autre part (D. n° 93-1268, art. 30, II, al. 1 et al. 2).

Ce contrôle de la diminution – ou plus souvent de l’augmentation – du coût réel des travaux par rapport à l’estimation est réalisé par application de deux seuils de tolérance différents, identifiés au contrat respectivement pour chacune des deux phases.

Cependant, la sanction du maître d’œuvre sous forme de réfaction de son forfait de rémunération, qui peut être apparenté à une pénalité, n’est prévue que lors du second contrôle, c'est-à-dire à l’issue de la réalisation des travaux (dans une certaine limite : « le contrat de MOE détermine les modalités de calcul de cette réduction qui ne peut excéder 15 % de la rémunération du MOE correspondant aux éléments de missions postérieurs à l'attribution des contrats de travaux »).

Ainsi, la réglementation MOP ne prévoit pas et donc, interdit que soit pratiquée une coupe financière au cas de dépassement du coût prévisionnel définitif des travaux sur lequel s'engage le maître d'œuvre en phase APD (avant-projet définitif) au vu du résultat des appels d’offres (phase ACT).

Elle ne prévoit à ce stade qu’une possibilité : faire reprendre gratuitement ses études par l’architecte. Dans l’hypothèse où ce nouveau rendu ne permettrait pas l’attribution pour les mêmes raisons lors d’une seconde consultation, le maître d’ouvrage aurait la seule possibilité de réaliser le marché sans indemnité.

Il ne saurait donc lui être reproché des évènements extérieurs aux parties intervenus entre son estimation en phase APD et le résultat de la consultation, qui aboutirait à un niveau d’offres plus importants, comme des évènements économiques par exemple :

  • hausse brutale du prix des matières premières cotées en bourse du fait de spéculations mondiales, d’embargo, etc. ;
  • hausse du prix d’approvisionnement et/ou d’acheminement de certains matériaux du fait d’un évènement naturel imprévisible (exemple récent : conséquences de la crue de la Seine sur l’activité des cimentiers) ;
  • hausse du prix de certains équipements du fait d’une pénurie due à une forte demande conjoncturelle (exemple contemporain : prix de location des bâtiments modulaires externes pour accueillir les personnels de bâtiments en réhabilitation).

En outre, la cour rejette l’argument de l’acheteur selon lequel la prévision d’une réfaction sur les honoraires constituerait « une clause incitative », qui aurait donc vocation à « motiver » le maître d’œuvre quant à son assiduité et au sérieux de son travail.

Mais en revanche, faisant une application stricte de la réglementation MOP, le juge valide la pénalité liée au dépassement de seuil en phase AOR, liée à des modifications de programme rendues nécessaires par la carence du titulaire qui, bien qu’averti de la vétusté de certains équipements, n’avait pas réalisé les études nécessaires avant l'élaboration des DCE. Elle rejette également une demande de rémunération complémentaire pour étude sur un espace solarium, lequel faisait bien partie du programme initial.

Sources :