Application de la nouvelle définition des clauses exorbitantes

Par Nicolas Quénard

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Par un arrêt rendu le 5 février 2018, le Conseil d'État revient, d'une part, sur la notion de clause exorbitante en adoptant la définition du tribunal des conflits ainsi qu'en précisant que le renvoi à un CCAG et l'application d'un CCAP permettent de caractériser la présence de clauses exorbitantes ; d'autre part, il précise la compétence du juge des référés précontractuels, en affirmant que ce dernier reste compétent même lorsque le marché public est exclu du champ d'application de l'ordonnance dès lors que les conditions de l'article L. 551-1 du CJA sont remplies.

En l’espèce, le Centre national d’études spatial (CNES) a lancé une procédure de passation en vue de conclure des contrats non soumis à l’ordonnance du 23 juillet 2015 pour la maintenance des installations du Centre spatial européen que la société Endel, prestataire sortant et candidat évincé de l’attribution du lot n° 6 « Transport », est parvenue à faire annuler par le juge des référés précontractuels de Guyane. Suite à cette annulation, le CNES et la société attributaire ont formé un pourvoi en cassation permettant au Conseil d’État, en annulant les ordonnances de référés du tribunal, de préciser sa jurisprudence en matière de clause exorbitante et de compétence du juge des référés précontractuels.

NOUVELLE CLAUSE EXORBITANTE, CCAG & CCAP

Au vu de cette exclusion, le Conseil d’État a été conduit à rechercher la nature de ces contrats afin d’en déduire la compétence du juge administratif des référés précontractuels.

Traditionnellement, la théorie de la clause exorbitante permet, en tant que critère matériel et sous réserve de la réunion du critère organique, de qualifier un contrat de contrat administratif lorsqu’il ne l’est pas par détermination législative.

Le tribunal des conflits a défini ces clauses exorbitantes comme les clauses conférant aux parties « des droits et […] obligations, étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d'être consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales » (TC, 15 nov. 1999, n° 03144, Commune de Bourisp). Néanmoins, en 2014, le tribunal des conflits a procédé à une redéfinition de la notion de clause exorbitante en la couplant avec la notion d’intérêt général :

« Considérant, en troisième lieu, que le contrat litigieux ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs » (TC, 13 oct. 2014, n° 3963, Société Axa France IARD)

Si le tribunal des conflits et la Cour de cassation avaient déjà repris cette définition, la décision commentée constitue la première application positive par le Conseil d’État de la nouvelle définition de la clause exorbitante (CE, 26 juin 2015, n° 386595, FSU 31 ; CE, 2 mai 2016, n° 381370, SASL).

Après avoir relevé que la procédure de passation lancée n’était pas comprise dans le champ d’application de l’ordonnance du 23 juillet 2015 précitée et qu’ainsi le marché n’avait pas le caractère de contrat administratif, le Conseil d’État a affirmé, en utilisant la nouvelle définition de la clause exorbitante que le :

« renvoi au cahier des clauses administratives générales des marchés de fournitures courantes et de services et l'application du cahier des clauses administratives particulières du CNES doivent être regardés comme introduisant dans ces contrats des clauses impliquant dans l'intérêt général qu'ils relèvent d'un régime exorbitant de droit public ; que l'existence de ces clauses confère par suite à ces contrats un caractère administratif ».

De manière plus générale, il convient donc d’affirmer qu'au sein d’un contrat conclu entre une personne privée et une personne publique, le renvoi à un CCAG ainsi que l’application, par cette même personne publique, de son CCAP, suffisent à caractériser l’existence de clauses exorbitantes impliquant le caractère administratif dudit contrat ainsi que la soumission de ce dernier à un régime exorbitant de droit public (CE, 17 nov. 1967, n° 65335, Ministre des Armées c./ Sieur Roudier de la Brille ; CE, 13 janv. 1984, n° 34670, Société Dubigeon-Normandie).

COMPÉTENCE DU JUGE DES RÉFÉRÉS PRÉCONTRACTUELS

Dans un second temps, le Conseil d’État souligne en conséquence de cette qualification que le juge des référés précontractuels est compétent dès lors que le contrat concerne un objet dont le juge des référés précontractuels peut connaître selon l’article L.551-1 du CJA ; la circonstance selon laquelle ledit marché est exclu du champ d’application de l’ordonnance relative aux marchés publics étant sans incidence sur la soumission de ce contrat administratif aux grands principes de la commande publique et, par voie de conséquence, sur son inclusion dans le champ de l’article L. 551-1 susmentionné.

PORTÉE PRATIQUE

Pour les acheteurs publics passant des marchés non soumis à l’ordonnance du 23 juillet 2015 et les entreprises soumissionnaires à de tels marchés, il convient donc de garder en mémoire qu’un tel contrat peut néanmoins être regardé comme :

  • un contrat administratif notamment s’il contient des clauses exorbitantes par le biais d’un renvoi à un CCAG et par le biais de l’application d’un CCAP ;
  • et soumis à l’office du juge des référés précontractuels, s’il correspond au champ de compétence de ce dernier défini à l’article L. 551-1 du Code de justice administrative.

Enfin, il convient de relever que le Conseil d’État profite de cette décision pour préciser que l’absence sur une ordonnance de la mention de tenue d’une audience publique n’est plus un moyen à même d’emporter l’irrégularité de cette même ordonnance, ce qui constitue un revirement (CE, 16 nov. 2009, n° 328826, Ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire et association collectif Respect).

Sources :