Utiliser les critères à caractère social à bon escient

Par Mathieu Blossier

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La politique salariale engagée par un candidat au sein de sa structure ne peut constituer un critère probant de sélection des offres, si elle n’a pas de rapport avec l’objet du marché.

Dans son étude de mars 2018 intitulée « Commande publique responsable : un levier insuffisamment exploité », le Conseil économique sociale et environnemental (Cese) avait cité en modèle la démarche engagée par Nantes Métropole qui a élaboré un guide afin de favoriser l'inclusion « des clauses relatives à l’égalité des chances et à la lutte contre les discriminations » dans les conditions d’exécution d’un marché public. Dans ce cadre, une importance particulière est accordée à la politique générale des entreprises en matière sociale, appréciée au regard de l’ensemble de son activité.

Cependant, dans un arrêt du 25 mai dernier, le juge vient rappeler les limites d’utilisation d’une telle démarche et les marges de contrôle et d’investigation des acheteurs dans l’application des critères sociaux.

Pour rappel, le « critère social » doit favoriser, pour l’exécution de certaines prestations, l’emploi de publics en difficulté (bénéficiaires du RSA ou de minima sociaux, travailleurs handicapés, jeunes de moins de 26 ans sans qualification, chômeurs de longue durée, etc.). Ces prestations portent par exemple sur des travaux de construction, de déconstruction, de réhabilitation mais aussi des services tels que l'entretien des espaces verts, le nettoyage, le tri des déchets, la restauration collective, etc.

L'article 38 de l'ordonnance n° 2015-889 incite les acheteurs à prendre en compte la politique menée par l’entreprise en matière de lutte contre les discriminations, à condition que ce critère soit lié à l'objet du marché. Autrement dit, les acheteurs ont la possibilité d'imposer aux titulaires de leurs marchés de réserver un certain volume d’heures de travail aux publics en difficulté. Plus précisément, ce sont les articles 52 de l’ordonnance et 62 du décret qui permettent d’intégrer l’insertion professionnelle comme critères d’attribution.

En l’occurrence, la consultation portait sur des travaux d’impression commandés par Nantes Métropole (mandataire d’un groupement de commandes). Il y était prévu, avec une pondération de 15 %, un critère relatif à la « performance en matière de responsabilité sociale », ventilé en 5 sous-critères : « protection de l'environnement », « aspects sociaux », « aspects sociétaux », « performance économique durable » et « aspects gouvernance » des entreprises.

Or, sans remettre en question le bien-fondé de l’initiative, la politique sociale globale de l’entreprise a été considérée comme utilisée génériquement et indistinctement « à l'ensemble des marchés de l'acheteur, indépendamment de l'objet ou des conditions d'exécution propres au marché en cause. »

Ainsi appliqué, ce critère ne permet pas un jugement particulier de la qualité des offres, s’agissant de prestations objets de prestations distinctes : l’acheteur aurait dû s’attacher aux « conditions dans lesquelles les entreprises candidates exécuteraient l'accord-cadre en litige » et « aux éléments caractérisant le processus spécifique de réalisation des travaux d'impression prévus par le contrat », plutôt que de prendre largement en considération « l'ensemble de leur activité » et « leur politique générale en matière sociale. »

Le Conseil d’État fait ainsi une juste distinction entre l’action sociale globale pouvant être portée par un acteur public et « l’opportunité-applicabilité » de celle-ci au cas par cas, au regard du besoin particulier objet d’une consultation.

Attention donc aux exigences généralistes sans rapport avec l’objet particulier d’une consultation !

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