Un candidat peut commettre une faute en ne respectant pas une loi en attente de promulgation

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Invoquer la nullité d’un contrat pour échapper à ses obligations est soumis à un principe de loyauté, mais le Conseil d’État rappelle, avec sa décision du 19 avril 2013, Société Elres, n° 361721, qu’une nullité peut aussi engager la responsabilité quasi-délictuelle et délictuelle en cas de faute du contractant lors de la conclusion du contrat.

L’arrêt en question du Conseil d’État intervient en fin d’une chaîne de procédures contentieuses particulièrement longue.

À l’origine du cas, une commune avait conclu une délégation de service public pour assurer le service de restauration scolaire. Ce contrat a été prolongé par un avenant pris deux semaines avant la promulgation de la loi Sapin de 1993, sans procédure de publicité ni mise en concurrence. Quelques années plus tard, la commune a résilié unilatéralement le contrat pour motif d’intérêt général. Le cocontractant a alors saisi le juge pour qu’il constate l’existence de factures impayées et a contesté la résiliation. Le Conseil d’État s’est prononcé sur la résiliation en juin 2009 : il a requalifié la délégation en contrat de marché public, et confirmé l’annulation. Le Conseil d’État a renvoyé l’affaire devant la cour administrative d’appel.

La cour d’appel administrative de Versailles (CAA Versailles, 14 juin 2012, Société Avenance-Enseignement et Santé, n° 07VE00670) a donc statué une seconde fois sur la même affaire, en bénéficiant de l’analyse du Conseil d’État (CE, 5 juin 2009, Société Avenance-Enseignement et Santé, n° 298641). Le juge du fond n’avait qu’à enregistrer la décision du Conseil d’État quant à la nullité de la procédure de passation de l’avenant. Par contre, elle devait se prononcer de nouveau sur le partage des fautes, et en particulier sur les préjudices extra-contractuels subis, notamment l’enrichissement sans cause invoqué par les deux parties. Lors de la première instance, au cours des années 1990 et du début des années 2000, le juge avait évalué le partage des fautes à 60 % pour la commune et 40 % pour le cocontractant. Par l’arrêt d’appel de 2012, après renvoi par le Conseil d’État, le juge du fond a considéré que le juge de première instance avait commis une erreur de droit en appliquant le partage des fautes aux dépenses utiles à l’exécution du contrat. En effet, le contrat annulé, il fallait appliquer le partage des fautes uniquement aux responsabilités extra-contractuelles. Il est vrai que depuis un arrêt du 16 novembre 2005, MM. Jean-Paul et Bruno ZY, n° 262360, le juge a reconnu la possibilité pour « le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité [de] prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité ». Une fois ce jugement annulé, le juge d’appel est allé plus loin en remettant en cause la répartition des fautes.

Le juge a considéré que les activités professionnelles du cocontractant de l’administration font qu’il « dispose de larges connaissances [du] milieu [de son marché public] ainsi que des dispositions en vigueur et de leur éventuelle évolution » : alors que la loi de 1993 n’était pas directement applicable, il ressort du fait que l’avenant a été conclu deux semaines avant son entrée en vigueur et que les contractants auraient dû respecter des procédures de publicité et de mise en concurrence. La nullité qui en découle est de la responsabilité des deux contractants, mais le rapport de faute est inversé. Le juge du fond décide, en 2012, de répartir les fautes à hauteur de 80 % sur le co-contractant et de 20 % sur la commune. Le Conseil d’État a validé cette décision en la rattachant au pouvoir d’appréciation souveraine du juge du fond.

Au-delà du simple rappel de la responsabilité du cocontractant dans la nullité de la procédure de passation, le juge souligne les devoirs de vigilance et de diligence auxquels les parties à un contrat doivent veiller lors de la conclusion d’un avenant. Et cela, même si l’application d’une loi serait alors rétroactive.

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