Sans complexité avérée, point de dialogue compétitif !

Par Dorothée Simon

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La procédure de dialogue compétitif est une procédure pouvant être qualifiée de dérogatoire puisqu’elle contrevient au principe de la définition des besoins qui doit intervenir préalablement au lancement de la consultation. Cela permet ensuite d’engager un véritable dialogue avec les candidats sélectionnés dans le but de trouver les solutions adéquates répondant aux besoins de la collectivité in fine. Il est donc très tentant de recourir à cette procédure et de laisser loisir aux candidats de rédiger eux-mêmes le cahier des charges en lieu et place de la collectivité. Mais comme dans toute exception, les conditions de recours sont encadrées et le juge en fait une application stricte.

C’est ce que rappelle le Conseil d’État dans un arrêt du 18 décembre 2017 (n° 413527).

Étant donné qu’il s’agit d’une procédure particulière dont le recours est réglementé, il convient d’examiner au cas par cas la nature du marché, en tenant compte des capacités du pouvoir adjudicateur concerné afin de vérifier si le recours au dialogue compétitif est justifié.

Cette procédure est réservée aux marchés publics complexes.

En vertu des dispositions de l’article 36 du Code des marchés publics (applicable alors), cette complexité est avérée s’il est démontré soit que :

  • [...] « 1° Le pouvoir adjudicateur n'est objectivement pas en mesure de définir seul et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ; » traduisant une complexité technique.

Ou que :

  • « 2° Le pouvoir adjudicateur n'est objectivement pas en mesure d'établir le montage juridique ou financier d'un projet. » traduisant une complexité juridico-financière.

En l’espèce, Météo France, en sa qualité d’acheteur public, a eu recours à la procédure du dialogue compétitif pour l’attribution d’un marché de fourniture d'une capacité d'observation du vent par Lidar Doppler pour l'aéroport de Nice Côte d'Azur.

Une société évincée a saisi le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Nice demandant l’annulation de la procédure.

Le juge ayant fait droit à cette demande, Météo France se pourvoit en cassation contre l’ordonnance qui valide le jugement du TA estimant que l’acheteur ne pouvait légalement recourir à cette procédure.

Le demandeur au pourvoi se défend de ne pas avoir pu être « objectivement en mesure de définir seul et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins », ni être « objectivement pas en mesure de choisir entre différentsmontages juridiques et financiers qu'elle avait identifiés avant de lancer la procédure de passation ».

Le Conseil d’État a simplement vérifié si l’une des deux conditions issues des dispositions de l’article 36 CMP était alors remplie sur la base de ces déclarations :

  • pas de complexité technique répond le CE, car « [...] l'établissement public avait, [...], identifié le Lidar Doppler comme étant la technologie la plus appropriée à ses besoins avant même le lancement de la procédure de passation [...] » ;
  • pas de complexité juridico-financière non plus. Le CE dans son deuxième considérant, déclarant : « la seule indétermination du choix entre un achat de l'appareil, une location de l'appareil avec option d'achat ou l'achat de données, qui ne constituent pas des montages juridiques et financiers complexes, ne révélait pas, à elle seule, l'incapacité objective du pouvoir adjudicateur d'établir le montage juridique ou financier du projet ».

Cette incapacité – ou impossibilité – objective que nous rappelle le Conseil d’État répond à une obligation de diligence de la part des acheteurs publics.

La position du Conseil d’État est tout à fait acceptable et l’on s’étonne par ailleurs que Météo France n’ait pas eu recours à de plus simples outils de la commande publique comme l’emploi de variantes par exemple.

On peut dire que Météo France n’a pas senti le vent tourner...

Dommage, car à l’aune de la réforme de 2016, le législateur a considérablement assoupli les conditions de recours à cette procédure, il aurait été alors tout à fait probable que l’EPA n’eut pas été inquiété.

En effet, la politique de l’achat public se veut plus simple, plus souple, plus accessible, et le souhait de plus de liberté, de davantage de négociation se ressent à travers la transposition du considérant 42 de la directive 2014/24/UE au nouvel article 25 du décret n° 2016-360.

Il y a désormais 6 hypothèses de recours à la procédure de dialogue compétitif :

  1. lorsque le besoin ne peut être satisfait sans adapter des solutions immédiatement disponibles ;
  2. lorsque le besoin consiste en une solution innovante ;
  3. lorsque le marché public comporte des prestations de conception ;
  4. lorsque le marché public ne peut être attribué sans négociation préalable ;
  5. lorsque le pouvoir adjudicateur n'est pas en mesure de définir les spécifications techniques avec une précision suffisante ;
  6. lorsque, dans le cadre d'un appel d'offres, seules des offres irrégulières ou inacceptables, ont été présentées pour autant que les conditions initiales du marché public ne soient pas substantiellement modifiées.

Cet élargissement des conditions de recours à la procédure du dialogue compétitif n’exonère pas le maintien de l’exigence de motivation de la complexité pour autant. Attention donc à la dérive...

Sources :