Pour les marchés avec des artistes ou des groupements, attention à la compétence !

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Si le juge administratif est en principe compétent pour connaître des litiges nés de l’exécution ou de la rupture d’un contrat administratif, la solution accepte des nuances. Trois décisions du mois de mars 2015, l'une du Conseil d'État et deux du Tribunal des conflits, y apportent des éclairages nouveaux.

Dans la première espèce, le Tribunal des conflits est revenu sur la célèbre jurisprudence Peyrot de 1963, qui donnait compétence au juge administratif pour examiner les recours contre les marchés passés par les sociétés d'autoroute. Le contexte capitalistique de ces sociétés ayant profondément évolué (avec les privatisations), la compétence ressortit au juge judiciaire à compter du 9 mars 2015. Pour les contrats conclus avant cette date en revanche, le Tribunal des conflits fait une exception à la règle générale d'application de la jurisprudence en leur appliquant une compétence administrative.

En matière de propriété intellectuelle en revanche, la compétence demeure judiciaire, comme l'a rappelé le Conseil d'État.

En l’espèce, le département de Meurthe-et-Moselle avait conclu avec monsieur A. un contrat portant sur l’exploitation de droits de reproduction et de diffusion de photographies prises par ce dernier pour le compte du département. Au terme de la durée d’exploitation de six années prévue par le contrat, monsieur A. demanda la restitution des cédéroms contenant les photos prises par ses soins. Face au refus du département, il demanda au juge d’une part, la restitution des cédéroms, et, d’autre part, l’indemnisation des préjudices générés par leur non-restitution. Les juges du fond rejetèrent ses demandes.

L’initiative ne fut pas vaine puisque le Conseil d’État annula l’arrêt rendu par le juge administratif d’appel, ce dernier ayant commis une erreur de droit en admettant sa compétence dans le cadre d’un litige relatif à des droits de propriété intellectuelle. Par dérogation au principe selon lequel les litiges nés de l’exécution ou de la rupture d’un contrat administratif relèvent de la compétence du juge administratif, la recherche de la responsabilité d’une personne publique fondée sur la méconnaissance par celle-ci de droits en matière de propriété littéraire et artistique relève en effet de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire. Il s’agit donc pour le Conseil d’État de rappeler l’exception à la compétence du juge administratif que pose l’article L. 331-1 du Code de propriété intellectuelle, même lorsqu’il s’agit d’un litige portant sur l’exécution d’un contrat administratif.

Cette décision nous rappelle donc que les frontières entre les compétences des juges administratifs et judiciaires ne sont pas si hermétiques que l’on pourrait le croire, de multiples exceptions altérant ici et là la summa divisio si chère à l’ordre juridique français. Comme l’illustre la décision Société Ace European Group Limited rendue le 9 février 2015 par le Tribunal des conflits, le juge administratif peut également se trouver compétent dans un domaine relevant a priori de la compétence du juge judiciaire.

Le juge des conflits a effectivement considéré que lorsque le juge administratif est saisi d'un litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics opposant le maître d'ouvrage à des constructeurs qui ont constitué un groupement pour exécuter le marché, il est compétent pour connaître des actions en garantie engagées par les constructeurs les uns envers les autres si le marché indique la répartition des prestations entre les membres du groupement.

Par ailleurs, si tel n'est pas le cas, le juge administratif est tout de même compétent pour connaître des actions en garantie entre les constructeurs, quand bien même la répartition des prestations résulterait d'un contrat de droit privé conclu entre eux, hormis le cas où la validité ou l'interprétation de ce contrat soulèverait une difficulté sérieuse.

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