Pas de « délai raisonnable » pour l’introduction d’un référé précontractuel

Par François Fourmeaux

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Seule la signature du contrat vient contraindre, dans le temps, la possibilité de saisir le juge du référé précontractuel : telle est la clarification apportée par le Conseil d’État  dans sa décision du 12 juillet dernier, censurant un juge de première instance qui, au nom du principe de sécurité juridique, avait cru devoir faire application d’un « délai raisonnable ».

Dans cette affaire, le candidat évincé à un marché de « système de transport intelligent » avait saisi le juge du référé précontractuel, avant la signature du marché, mais trois mois après avoir eu connaissance du manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence dont il se prévalait.

Le Tribunal administratif de la Réunion, qui avait rejeté sa requête pour tardiveté, avait vraisemblablement voulu étendre aux référés précontractuels la logique de la jurisprudence Czabaj du 13 juillet 2016. Pour mémoire, il résulte de celle-ci que «  le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance » et que, dans les cas où les voies et délais de recours ne seraient pas opposables au destinataire de la décision, celui-ci ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable qui, en règle générale, « ne saurait […] excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance ».

Mais pour le Conseil d’État, aucune disposition n’implique que « les personnes ayant intérêt à conclure le contrat et qui s'estiment susceptibles d'être lésées par des manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence soient tenues de saisir le juge du référé précontractuel dans un délai déterminé à compter du moment où elles ont connaissance de ces manquements ».

De fait, la logique de la jurisprudence Czabaj n’est pas réellement transposable aux référés précontractuels dont l’introduction est, en tout état de cause, insérée dans des contraintes de temps. En effet, aux termes de l’article L. 551-1 du Code de justice administrative, « […] le juge est saisi avant la conclusion du contrat », de sorte que l’absence d’un délai déterminé « ne conduit pas à ce que [les] manquements puissent être contestés indéfiniment devant le juge du référé précontractuel, dès lors que la signature du contrat met fin à la possibilité de saisir ce juge ».

Le Conseil d’État ajoute « qu'au demeurant, la possibilité ainsi offerte aux personnes intéressées de former un référé précontractuel à tout moment de la procédure, en permettant que ces manquements soient, le cas échéant, corrigés avant la conclusion du contrat, tend à prévenir l'introduction de recours remettant en cause le contrat lui-même après sa signature et alors qu'il est en cours d'exécution ». Incidemment, le Conseil d’État considère que le principe de sécurité juridique est du coup précisément renforcé par la solution qu’il énonce, puisqu’elle limite les possibilités de remises en cause ultérieures du contrat.

L’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de la Réunion, censurée pour erreur de droit, devrait donc restée isolée.

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