Offre anormalement basse : précisions sur l’étendue de l’obligation de motivation d’une décision de rejet

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La motivation d’une décision de rejet dans le cadre d’une procédure de marché public relève d’un délicat équilibre. Qu’il révèle trop en détail les raisons ayant conduit à rejeter une offre, ou à l’inverse ne se contente que de communiquer le strict minimum des informations requises par la réglementation, le pouvoir adjudicateur s’expose à une contestation de sa décision. Il en va de même lorsque, suite à une demande d’informations complémentaires sur les caractéristiques et avantages relatifs de l’offre retenue, le pouvoir adjudicateur semble n’avoir pas assez motivé sa lettre de réponse. Un tel argument est l’objet de la décision du Tribunal (de l’Union européenne) du 7 février 2017.

Dans le cadre d’un appel d’offres à l’initiative de la Commission européenne et portant sur la fourniture de « [s]ervices externes relatifs au développement, à l’étude et au soutien de systèmes d’information », un consortium d’entreprises voit son offre retenue pour un lot et signe avec la Commission un contrat-cadre. Ce dernier stipule que des contrats spécifiques seront attribués sur la base de « mini-concours » entre les « contractants-cadres » sélectionnés, après « demande de devis » présentée par la Commission. À la suite de l’émission de deux demandes de devis, le consortium se voit informé du rejet de ses offres et demande que lui soit communiqué un certain nombre d’informations, parmi lesquelles l’offre financière du soumissionnaire retenu ainsi qu’ « une copie du rapport d’évaluation dont, au moins, les sections relatives à son offre et celles relatives à l’offre retenue ». Après réception de ces informations, le consortium formule des critiques au sujet de l’évaluation des offres, et estimant que l’offre retenue était trop basse, demande l’annulation de la décision d’attribution du marché. La Commission ne pourvoyant pas à sa demande, le consortium conteste sa décision et saisit le Tribunal.

Le principal grief porté par le consortium devant la juridiction européenne concerne la violation de l’obligation de motivation qui incombe au pouvoir adjudicateur. L’article 113 du règlement financier applicable au budget général de l’Union, combiné à l’article 161 du règlement d’application alors en vigueur, imposaient d’informer dans les meilleurs délais les candidats et les soumissionnaires des décisions prises concernant l’attribution du marché, et de leur fournir, en cas de demande, des informations complémentaires portant sur « les caractéristiques et avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire ». De manière similaire et pour rappel, l’article 99 du décret no 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics impose en droit français une telle communication d’informations, différente selon qu’il s’agit d’un marché public passé selon une procédure adaptée ou selon une procédure formalisée.

Face à l’argument selon lequel l’offre retenue serait une offre anormalement basse, la Commission s’est borné à constater, dans une seule phrase, qu’elle ne relevait pas d’une telle catégorie. Le Tribunal estime qu’une telle réponse n’est pas satisfaisante. S’appuyant sur sa propre jurisprudence (Tribunal, 15 oct. 2013, aff. T-638/11), il rappelle que le consortium pouvait légitimement espérer que lui soient exposés les caractéristiques et avantages de cette offre, et juge que la phrase unique produite par la Commission « ne remplit pas les fonctions assignées à l’obligation de motivation, à savoir faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte ».

De manière pédagogique, le juge rappelle également l’étendue des informations exigées du pouvoir adjudicateur afin de prouver qu’une offre n’a pas été estimée comme étant anormalement basse. Il affirme ainsi que le pouvoir adjudicateur « n’a pas à révéler des informations précises sur les aspects techniques et financiers de cette offre, comme les prix offerts ou les ressources que le soumissionnaire retenu propose de mettre en œuvre pour fournir les services qu’il offre ».

Il doit en revanche « exposer le raisonnement au terme duquel :

– d’une part, il a conclu que, par ses caractéristiques principalement financières, une telle offre respectait notamment la législation du pays dans lequel les services devraient être exécutés, en matière de rémunération du personnel, de contribution au régime de sécurité sociale et de respect des normes de sécurité et de santé au travail ;

– et, d’autre part, il a vérifié que le prix proposé intégrait tous les coûts induits par les aspects techniques de l’offre retenue ».

À l’heure où subsiste, en droits européen et français, l’absence d’une méthode de détection malgré de nouvelles réglementations, mieux vaut éviter de justifier qu’une offre n’est pas anormalement basse par le fait qu’elle ne relève pas de la catégorie des offres anormalement basses : l’anaphore ne fera pas mouche devant le candidat évincé.

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