Notification du recours en référé précontractuel : quid de la preuve du dépôt de la requête au tribunal ?

Par Jessica Serrano Bentchich

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L’auteur d’un recours en référé précontractuel n’a pas à prouver au pouvoir adjudicateur que la saisine du tribunal est effective lorsqu’il lui notifie ledit recours en application de l’article R. 551-1 du Code de justice administrative (ci-après : « CJA »). Dès lors que le recours lui est notifié, l’acheteur doit suspendre la signature du marché dont la procédure est contestée. À défaut, il s’expose à un référé contractuel et à ce que le tribunal prononce la nullité de son marché (CE, 25 juin 2018, n° 417734, SHAM).

L’article R. 551-1 du CJA impose à l’auteur d’un recours en référé précontractuel de notifier au pouvoir adjudicateur ledit recours. Pour mémoire, cet article précise que « le représentant de l'État ou l'auteur du recours est tenu de notifier son recours au pouvoir adjudicateur. Cette notification est réputée accomplie à la date de sa réception par le pouvoir adjudicateur ».

L’objectif de l’obligation de notification du recours est d’éviter la signature du marché par un pouvoir adjudicateur « resté dans l’ignorance » de la saisine du juge et de garantir, en conséquence, l’effectivité du droit au juge du référé précontractuel : « […] que ces dispositions, prévues dans l'intérêt de l'auteur du référé en vue d'éviter que le marché contesté ne soit prématurément signé par le pouvoir adjudicateur resté dans l'ignorance de l'introduction d'un recours […] » (CE, 10 nov. 2010, n° 341133, Ministre de la Défense).

Dès la réception du recours, il est interdit à l’acheteur de signer le marché dont la procédure est attaquée devant le juge du référé précontractuel (CJA, art. L.551-4).

Dans cette affaire, la société hospitalière d’assurance mutuelle avait notifié au centre hospitalier par télécopie et par courriel, le jeudi 21 décembre 2017, le recours en référé précontractuel déposé le même jour au tribunal. Alors qu’il avait connaissance de l’existence du recours, le pouvoir adjudicateur a décidé de signer le marché, le samedi 23 décembre 2017.

Dès lors que le marché est signé, les conclusions en référé précontractuel sont irrecevables (CE, 7 mars 2005, n° 270778, Société Grandjouan-Saco – marché signé avant l’enregistrement de la requête) ou dépourvues d’objet (CE, 3 nov. 1995, n° 152650, Société Stentofon Communications – marché signé après l’enregistrement de la requête). Il en résulte qu’il n’y avait plus lieu de statuer pour le tribunal sur les conclusions de la SHAM dirigées contre la procédure de passation.

Précisons qu’il est impossible d’exercer successivement un référé précontractuel et contractuel (CJA, art. L. 551-14), excepté dans les cas où l’acheteur a illégalement signé le marché : violation du délai de standstill et de l’information des candidats évincés – signature du marché alors qu’il a été informé d’un recours en référé précontractuel. 

Dans ces hypothèses, l’auteur d’un recours en référé précontractuel peut, au cours d’une même instance, former des conclusions en référé contractuel qui seront recevables (CE, 10 nov. 2010, n° 340944, « France Agrimer »). Ainsi, la SHAM a présenté des conclusions devant le juge du référé contractuel (CJA, art. L. 551-13 et s.) afin d’obtenir la nullité du marché (CJA, art. L. 551-18).

L’établissement prétendait qu’il ne savait pas si le tribunal avait été effectivement saisi, faute pour le conseil de la SHAM de lui avoir communiqué l’accusé de réception télérecours lors de la notification du recours en référé précontractuel. Il faisait découler de l’article R. 551-1 du CJA une exigence probatoire, en sus de l’obligation de notification du recours.

Pour se prononcer sur la recevabilité du référé contractuel, le tribunal devait donc déterminer si la notification du recours en référé précontractuel du requérant avait été effectuée conformément à l’article R. 551-1 du CJA.

De manière surprenante, par une ordonnance du 15 janvier 2018, le tribunal administratif de Toulon a considéré que l’auteur du recours en référé précontractuel devait communiquer au pouvoir adjudicateur la preuve de dépôt dudit recours au tribunal lors de sa notification. En conséquence, il a déclaré irrecevable le recours en référé contractuel de la SHAM, faute pour celle-ci d’avoir communiqué à l’acheteur l’accusé de dépôt de la requête au tribunal lors de la notification de son recours (TA Toulon, 15 janv. 2018, n° 1704809, SHAM).

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’État a donc tranché la question de savoir si l’article R. 551-1 du CJA imposait à l’auteur d’un référé précontractuel de démontrer à l’acheteur l’effectivité de la saisine du tribunal lors de la notification dudit recours. 

Conformément à la lettre des textes et l’objectif de la notification du recours, le Conseil d’État a répondu par la négative en précisant que « […] ni les dispositions précitées [CJA, art. R. 551-1 et L. 551-4], ni aucune autre règle ou disposition ne subordonnent l’effet suspensif de la communication du recours au pouvoir adjudicateur à la transmission, par le demandeur, de documents attestant de la réception effective du recours par le tribunal ».

Il en résulte que le tribunal a entaché son ordonnance d’une erreur de droit « […] qu’en exigeant ainsi que le demandeur apporte au pouvoir adjudicateur la preuve de la saisine du tribunal par la transmission de l’accusé de réception du dépôt et de l’enregistrement de la demande délivré par télérecours, en en déduisant qu’en l’absence d’une telle production, le centre hospitalier intercommunal n’avait pas méconnu l’obligation qui pesait sur lui de suspendre la signature du marché et en jugeant que, par suite, le référé contractuel était irrecevable, le juge des référés a entaché son ordonnance d’erreur de droit ».

L’acheteur devra suspendre la signature du contrat dès la réception de la notification du recours en référé précontractuel. Attention, « […] s'agissant d'un recours envoyé au service compétent du pouvoir adjudicateur par des moyens de communication permettant d'assurer la transmission d'un document en temps réel, le délai de suspension court à compter non de la prise de connaissance effective du recours par le pouvoir adjudicateur, mais de la réception de la notification qui lui a été faite » (CE, 20 juin 2018, n° 417686, Société Cercis).

Avant de signer le marché, l’acheteur devra vérifier : télérecours et télécopieurs du service compétent, voire les courriels des agents concernés pour une sécurisation maximale.

Sources :

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