Mise au point sur l’achat public et la préférence locale

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Polémique sur la « clause Molière », programmes présidentiels cherchant à favoriser la préférence locale ou nationale, adoption de la loi EROM… : les considérations géographiques reviennent en force dans les débats sur l’achat public. Parallèlement l’on constate, dans la pratique, une multiplication de procédés plus ou moins astucieux pour tenter de s’affranchir des principes d’égalité d’accès et de non-discrimination. Un point sur le sujet n’est, dans ce contexte, pas inutile.

Sur le plan des principes, on le sait, les choses sont entendues : le principe de non-discrimination s’oppose à ce qu’un candidat soit sélectionné – ou rejeté – pour des motifs tirés de sa nationalité ou de sa localisation géographique. Et c’est pour favoriser les productions ou emplois locaux que certains acheteurs cherchent à contourner ces principes, le plus souvent via les critères de sélection des offres ou les spécifications techniques du marché.

Il est donc indispensable de rappeler que les critères, comme les spécifications, doivent impérativement être liés à l’objet des prestations ; et que ce n’est qu’à cette condition que, parfois, des considérations liées à l’implantation géographique du candidat pourront constituer une condition d’obtention du contrat. L’on peut penser, par exemple, à des contraintes de maintenance, à la nécessité d’assurer la continuité d’un service public, ou à l’approvisionnement de produits frais (pour une synthèse de l’état du droit, voir la réponse à la question écrite no 4714 publiée le 4 décembre 2012). Comme l’a résumé une réponse ministérielle (à propos de produits alimentaires), le droit de la commande publique permet aux pouvoirs adjudicateurs « de déterminer des conditions d’exécution de leurs marchés permettant de promouvoir la production et le savoir-faire locaux, dès lors que ces exigences sont liées à l’objet du marché et ne présentent pas de caractère discriminatoire. L’acheteur public peut exiger que les fournisseurs garantissent la fraîcheur et la saisonnalité de leurs produits. De même, les conditions d’exécution peuvent inclure des exigences en matière de sécurité et de célérité des approvisionnements alimentaires. […] Outre ces conditions d’exécution, l’acheteur peut introduire des critères d’attribution qui seront aisément satisfaits par les producteurs locaux, pour autant que ces critères respectent le principe de non-discrimination et présentent un lien avec l’objet du marché (article 53 du CMP) » (voir la réponse à la question écrite no 17521, publiée le 24 décembre 2015). Dit autrement, le fait que les achats et emplois locaux soient parfois favorisés ne peut jamais constituer la finalité des critères de sélection ou des spécifications techniques ; il peut, tout au plus, en être une sorte de conséquence de fait, inévitable eu égard à l’objet des prestations. Comme l’a jugé le Conseil d’État, « les motifs tirés de la nécessité de favoriser l’emploi local […] sont sans rapport avec la réglementation des marchés » (CE, 29 juill. 1994, no 131562, Commune de Ventenac-en-Minervois). Tel est donc tout le sens du débat sur la « clause Molière », qui porte sur l’intention de l’acheteur : celui-ci veut-il favoriser l’emploi local ou assurer la sécurité des salariés ? Ces principes étant rappelés, l’on ne pourrait dès lors que s’étonner du récent dispositif contenu à l’article 73 de la loi no 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer (loi EROM). Celui-ci prévoit à titre expérimental, pour une durée de cinq ans, que les acheteurs publics de certains collectivités d’outre-mer puissent « réserver jusqu’à un tiers de leurs marchés aux petites et moyennes entreprises locales », dans la limite de « 15 % du montant annuel moyen des marchés du secteur économique concerné » conclus par l’acheteur au cours des trois années précédentes. Une disposition surprenante, mais précisément prévue pour « favoriser à moyen terme l’émergence de nouveaux opérateurs locaux susceptibles d’exercer pleinement leur libre accès à la commande publique ». Paradoxalement, donc, cette « discrimination positive » a pour but de garantir le respect des principes de la commande publique qui, du fait de la configuration géographique particulière des collectivités concernées, ont peine à s’appliquer de manière effective. Un dispositif que, en substance, plusieurs candidats à l’élection présidentielle souhaiteraient étendre à l’ensemble du territoire national… Sources :