Les marchés de gré à gré à l’épreuve du principe d’effectivité du droit de l’Union

Publié le

Le 26 novembre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé les modalités de mise en œuvre des différents types de recours susceptibles d’être exercés à l’encontre d’une violation affectant la passation d’un marché public. L’occasion donc de rappeler, non sans un certain pragmatisme, les conditions de respect du principe d’effectivité des recours selon le droit de l’Union européenne.

En l’espèce, la Fédération des organismes autrichiens de sécurité sociale (ci-après, « la Fédération ») avait souhaité passer un marché public portant sur la gestion informatique du système de prescription des médicaments. Bien que soumise à la directive 2004/18 relative aux marchés publics, celle-ci n’avait pas pris la peine de publier un avis d’appel public à la concurrence et avait conclu le marché avec la Caisse salariale des pharmaciens. S’estimant lésée par la conclusion de gré à gré de ce marché, la société MedEval avait saisi l’office fédéral des adjudications (ci-après, « l’office ») afin de faire constater l’illégalité de la procédure de passation. L’office lui opposa cependant une fin de non-recevoir. En vertu de la loi autrichienne, pareille action se trouvait en effet soumise à un délai de forclusion de six mois commençant à courir à compter de la date de conclusion du marché. Or, la société MedEval avait exercé son recours au-delà de ce délai. Qu’importe, la société requérante forma un recours devant le juge administratif autrichien afin d’obtenir satisfaction. La juridiction saisie décida alors de sursoir à statuer et de faire un renvoi préjudiciel devant le juge de l’Union.

La question était de savoir si le droit de l’Union, et plus spécifiquement les principes d’effectivité et d’équivalence, s’opposait à des dispositions de droit national subordonnant une action en constatation de la violation du droit des marchés publics à un délai de forclusion de six mois à compter de la date de conclusion du marché.

Selon l’article 1er de la directive 89/665CEE relative aux procédures de recours en matière de passation des marchés publics, les États membres doivent en effet prendre les mesures nécessaires pour garantir l’existence de recours efficaces contre les décisions des pouvoirs adjudicateurs qui violeraient le droit de l’Union.  L’arrêt Orizzonte Salute du 6 octobre 2015, rappelle cette obligation consistant, pour les États membres, à assurer une large diversité des recours pour tous ceux qui auraient été lésés par une violation du droit des marchés publics (CJUE, 6 oct. 2015, Orizzonte Salute, C-61/14). Cependant, le principe de sécurité juridique, tel qu’envisagé par la directive 89/665/CEE, autorise aussi les États membres à imposer un délai de forclusion de six mois à compter de la conclusion du marché. L’annulation d’un marché peut en effet conduire à de graves perturbations et de lourdes pertes financières pour les pouvoirs adjudicateurs. Il s’agit donc ici de mettre en balance les principes d’effectivité et de sécurité juridique.

La réponse à la question posée par le juge administratif autrichien est donc nuancée. En effet, les États membres peuvent choisir d’imposer un délai de forclusion de six mois à compter de la conclusion du marché dès lors qu’il s’agit de neutraliser une action qui tendrait à l’annulation du contrat, cela afin d’assurer la sécurité juridique. Toutefois, il n’est pas possible de subordonner à pareil délai une action en dommages et intérêts formée par une personne qui aurait été lésée par une telle violation du droit des marchés publics. Il est en outre encore moins possible, comme cela était le cas en l’espèce, de subordonner l’exercice d’une action en dommages et intérêts à la recevabilité d’un recours en annulation marché.

En revanche, la Cour de justice admet en substance qu’un délai de forclusion de six mois, à compter de la conclusion du marché, puisse être imposé dans le cadre d’un recours en annulation, cela indépendamment du point de savoir si le requérant ait eu connaissance ou non de la violation du droit des marchés publics alléguée. Cette règle ne saurait toutefois valoir dans le cadre d’une action en dommages et intérêts.

Il ressort donc de cet arrêt que les juges de l’Union se découvrent pleins de nuances, et surtout de pragmatisme, lorsqu’il s’agit de mettre en balance les principes d’effectivité et de sécurité juridique. Pour ce qui est de la question du principe d’équivalence, également soulevée dans le renvoi préjudiciel, le juge de l’Union l’élude tout simplement en se concentrant sur le principe d’effectivité.

Sources :