Les commandes des CHSCT exclues de la commande publique

Par Jessica Serrano Bentchich

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La cour d’appel d’Amiens, dans un arrêt du 27 septembre 2018, considère que les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs au sens de l’article 10 de l’ordonnance no 2015-899 du 23 juillet 2015 en précisant que « le CHSCT dispose de missions limitées qui visent non pas un intérêt général mais les intérêts exclusifs des salariés » (CA Amiens, 27 sept. 2018, no 17/04622). Cette décision est donc conforme à l’arrêt récemment rendu par la Cour de cassation du 28 mars 2018 (Cass. soc., 28 mars 2018, no 16-29.106 : Bull. soc.). Néanmoins, ces décisions sont discutables tant d’un point de vue juridique que pratique.  

Rappelons que l’article 10 de l’ordonnance no 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics précise son champ d’application organique. En d’autres termes, il précise les personnes soumises aux règles de la commande publique.

Sont assujetties à ces règles notamment les organismes de droit public définis comme suit :

« 2° Les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, dont :

a) Soit l'activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur ;

b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ;

c) Soit l'organe d'administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur ; ».

Plusieurs établissements publics considéraient que les CHSCT étaient des pouvoirs adjudicateurs. En conséquence, ils devaient choisir le cabinet d’expertise en respectant les règles de la commande publique. Aussi, pour les établissements publics, le recours à un cabinet d’expertise de gré à gré était illégal.

Pour mémoire, les CHSCT ont notamment pour mission, en application de l’article L. 4612-1 du Code du travail « 1° De contribuer à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l'établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure ».

Les questions de savoir si les CHSCT étaient des pouvoirs adjudicateurs et s’ils devaient appliquer les règles de la commande publique pour choisir le cabinet d’expertise ont été tranchées de manière différente par les tribunaux. Les décisions de justice étaient donc divergentes et contradictoires notamment sur la nature des missions imparties au CHSCT : missions d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial ?

Récemment, la Cour de cassation, saisi de ces questions, y répond par la négative. Elle considère que les CHSCT ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs « qu'eu égard à la mission du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail définie à l'article L. 4612-1 du Code du travail de contribuer à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l'établissement et de ceux mis à disposition par une entreprise extérieure, le CHSCT ne relève pas des personnes morales de droit privé créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général au sens de l'article 10 de l'ordonnance no2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics […] » (Cass. Soc., 28 mars 2018, 16-29.106 : Bull. soc.).

Dans l’affaire commentée, le juge des référés du tribunal de grande instance de Beauvais, par une ordonnance du 26 octobre 2017, déboute le CHSCT de ses demandes en considérant que ce dernier est un pouvoir adjudicateur au sens de l’article 10 de l’ordonnance « dans la mesure où il dispose de la personnalité juridique, qu’il ne possède d’autres ressources que celles que lui accorde le centre hospitalier et qu’il a été créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial ;

Qu’il ne peut être sérieusement soutenu, à cet égard, que le CHSCT n’aurait pas de mission de service général au motif qu’il serait chargé de contribuer à la protection de la santé des seuls travailleurs du centre hospitalier, pas plus qu’il ne peut être soutenu, à l’évidence, que le service départemental d’incendie et de secours de l’Oise en serait dépourvu car sa mission serait limitée à un seul département ; » (TGI de Beauvais, 26 oct. 2017, no 17/00167).

Le CHSCT interjette appel de cette décision. L’établissement en profite pour demander à la cour d’appel d’Amiens d’interroger la cour de justice de l’union européenne (ci-après : « CJUE ») sur les questions de la soumission des CHSCT au droit de la commande publique. Pour résumer, deux questions étaient formulées : est-ce que les CHSCT sont des pouvoirs adjudicateurs ? Est-ce que la réglementation française qui permet de déroger aux règles de la commande publique via les CHSCT est conforme au droit européen de la commande publique ? 

Les juges refusent de transmettre ces questions à la CJUE puisque la Cour de cassation s’est déjà prononcée : « Il ressort de ce qui précède que la Cour est libre d’apprécier la nécessité du renvoi devant la Cour de justice de l’Union Européenne. Or, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de donner un avis sur la question de savoir si un comité d’entreprise d’une personne morale était ou non soumise à l’obligation d’appel d’offres (Cass. soc., 4 avril 2018, no 18-70.002, avis no 15005) et même de statuer sur cette même question concernant précisément un CHSCT d’un centre hospitalier public (Cass. soc., 28 mars 2018, no 16-29.106). Dans ces conditions, il n’apparaît pas nécessaire de solliciter l’avis de la Cour de Justice de l’Union européenne sur les questions posées par le Centre Hospitalier […] qui sera en conséquence débouté de ses demandes de ce chef » et infirme l’ordonnance du juge des référés.

Le droit du travail (protection de la santé et de la sécurité des travailleurs) et les règles de la commande publique ne devraient pas être alternatifs. Ils pourraient être tous les deux appliqués en vue de réaliser leurs objectifs connexes.

À la suite d’une mise en concurrence, le coût de l’expertise, pour une prestation de qualité similaire, peut être réduit par deux… Aussi, la position en droit interne, en sus d’être juridiquement discutable, paraît en pratique paradoxale aux objectifs visés.