Le principe de loyauté contractuelle, un fondement de la continuité du service public apprécié du juge

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L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Nancy le 27 mai 2013 témoigne de l’attachement croissant du juge envers le principe de loyauté contractuelle issu de la jurisprudence Commune de Béziers du 28 décembre 2009 (CE, 28 décembre 2009, n° 304802, dit Béziers I).

L’affaire concernait l’inexécution par un pouvoir adjudicateur de son obligation contractuelle de payer le loyer d’un crédit-bail sur des biens meubles. Un musée avait en effet conclu un contrat de crédit-bail avec une entreprise spécialisée en photocopieuses. À peine plus d’un mois après la conclusion du contrat, le pouvoir adjudicateur a refusé de payer ses loyers. Le titulaire a résilié unilatéralement le contrat après plusieurs mois d’impayés et a saisi le juge du plein contentieux devant le tribunal administratif. Ce dernier lui a donné raison en condamnant la personne publique à lui verser une réparation égale au préjudice subi (la perte des loyers).

Le ministre de la Culture et de la Communication fait appel de cette décision et demande son annulation. Il invoque trois moyens. Le premier est un pur moyen de procédure que nous n’évoquerons pas ici, d’autant plus qu’il est rejeté. Le deuxième repose sur les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence, qui entacheraient la procédure de passation, fondant sa nullité. Le dernier porte sur l’indemnité contractuelle de résiliation.

Le juge d’appel fait une application très classique du principe de loyauté contractuelle. Reprenant la jurisprudence Béziers I, il pose le principe de la continuité des relations contractuelles et n’admet l’exception de nullité qu’en cas d’illicéité ou d’un vice d’une particulière gravité. Le demandeur à l’instance soulève justement l’illicéité de la procédure de passation, car le contrat aurait été le support d’un délit de corruption, ce que souligne l’absence de procédures de publicité et de mise en concurrence. Pour le juge du fond, le caractère illicite doit être prouvé de manière précise. Or, le juge pénal ne s’est pas encore prononcé sur cette affaire, et la plainte du ministère n’est pas dirigée contre le titulaire du marché. De plus, le manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence n’affecte pas les conditions dans lesquelles les parties ont échangé leurs consentements à contracter. Le moyen d’exception d’illégalité ne peut qu’être écarté.

Le ministère faisait également appel de la condamnation à la réparation de l’inexécution contractuelle. Le juge de première instance avait fondé la condamnation sur les stipulations contractuelles qui permettaient au titulaire de résilier le contrat en cas d’inexécution. Or, si le pouvoir de résiliation unilatérale est accordé à la personne publique moyennant indemnités, le principe de continuité du service public s’oppose à une telle clause. Le juge qualifie la clause de résiliation de contraire à l’ordre public sur ce fondement, mais la considère détachable. Ce raisonnement permet de conserver le contrat, tout en conciliant les intérêts du pouvoir adjudicateur et du titulaire.

À la lecture de l’arrêt, il est difficile de distinguer si le juge a eu un raisonnement finaliste sous-tendu par le principe de loyauté contractuelle, ou si, par l’application de deux règles distinctes (loyauté contractuelle et continuité du service public), il a finalement donné raison à l’acheteur public en l’exonérant de la réparation… mais pas de l’exécution du contrat. De cette manière, et dans un contexte de lancement de poursuites, cette décision permet aussi de remettre les parties dans la situation contractuelle, charge au juge pénal, en application de l’article L. 111-5 du Code pénal, de tirer les conséquences contractuelles des infractions éventuellement constatées.

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