Le juge du référé provision, grand maître de la créance

Par Laure Catel

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Le référé-provision est une procédure d'urgence, régie par l'article R. 541-1 du Code de justice administrative, qui permet au juge des référés, même lorsqu’il n’est pas saisi d’une demande au fond, d'accorder une provision au créancier qui le lui demande, lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Par une décision du 1er septembre 2017, la cour administrative de Nancy (CAA, 1er sept. 2017, n° 17NC00798) a rappelé l’étendue des pouvoirs du juge du référé provision en matière d’appréciation du degré de certitude, permettant de faire droit à la demande de provision du créancier.

Dans le cadre de la réalisation du nouveau centre de congrès de Nancy, la SOLOREM (Société Lorraine d’économie mixte d’aménagement urbain), mandataire de maîtrise d’ouvrage de la communauté urbaine de Nancy, a attribué à la société SOPREMA, le lot n° 2-2 « étanchéité » dudit marché de travaux. Ce marché comprenait une tranche ferme et une tranche conditionnelle qui a été affermie. Des travaux non prévus ont été commandés à l’entreprise et régularisés par un avenant ainsi que par un marché complémentaire. La réception des travaux a été prononcée et la société SOPREMA a transmis son projet de décompte final au maître d’œuvre, comprenant notamment une demande de paiement de travaux supplémentaires et une demande d’indemnisation des préjudices résultant des décalages et retards de chantier. À défaut d’accord entre les parties et de notification du décompte général, la société SOPREMA a saisi le juge des référés d’une demande de versement d’une provision correspondant aux montants restant dus. Le juge des référés a condamné la SOLOREM au versement de ladite provision mais d’un montant inférieur à celui réclamé par la SOPREMA. La SOLOREM interjette appel de l’ordonnance du juge des référés.

Le juge administratif rappelle qu’aux termes de l’article R-541-1 du Code de justice administrative, « le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». Il reprend ainsi la position avancée par le Conseil d’État dans un arrêt du 26 mars 2014 (CE, 26 mars 2014, n° 374287, Communauté d’agglomération côtes basque-Adour) qui était venu préciser l’étendue du contrôle du juge en termes de référé provision. Celui-ci doit en effet s’assurer, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l’existence avec un degré suffisant de certitude. La cour administrative de Nancy va plus loin dans le raisonnement en écrivant que : « le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n’a d’autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l’obligation dont les parties font état. Dans l’hypothèse où l’évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision […] que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant ». 

Le juge du référé provision est le juge de la certitude, davantage que de l’évidence. Il ne s’agit pas simplement que le caractère non sérieusement contestable coule de source, encore faut-il que celui qui le conteste en apporte la preuve. À charge pour le juge d’évaluer le montant de la provision au regard de ces éléments.

Cette décision vient confirmer la position du Conseil d’État en la matière. Elle reprend en effet les termes de la jurisprudence du 6 décembre 2013 (CE, sect., 6 déc. 2013, n° 363290) qui avait permis d’apporter deux précisions relatives aux pouvoirs accordés au juge du référé provision. Ce dernier doit, d’une part, vérifier les allégations du demandeur en analysant les éléments de preuve afin de leur accorder force probante certaine. Il doit, d’autre part, contrôler le montant de la provision réclamée et, procéder à sa révision si ce dernier, à l’appui des éléments de preuve fournis, a été mal évalué. Il ne devra alors « allouer de provision […] que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant ». 

En effet, s'agissant d'une obligation de payer, le juge administratif fait application de la règle selon laquelle il « ne peut condamner une personne à payer une somme qu'elle ne doit pas » ou à payer plus qu'elle ne doit. Il va donc s'assurer que la dette publique est certaine.

Côte opérateur économique, cette certitude peut résulter d'affirmations non contredites par l'administration. En l’espèce, la cour a en effet considéré que l’acheteur public avait admis le principe d’une rétribution en demandant, à l’appui d’un ordre de service, l’établissement d’un devis. Dans le même sens, le juge a inclus dans la provision le remboursement d’une prestation effectuée en urgence par la société SOPREMA pour un montant raisonnable et alors même que la SOLOREM, qui avait demandé un devis, n’avait pas donné suite à ce dernier. Une prestation non prévue au contrat mais indispensable à la réalisation de l’ouvrage et rétribuée par le maître d’œuvre constitue donc une obligation non sérieusement contestable. 

Côté pouvoir adjudicateur, le juge insiste sur le fait que, l’acheteur public qui n’apporte pas de précisions sur la détermination, la localisation, l’éventuelle imputabilité à l’entreprise ou le montant des créances qu’il dit détenir sur le titulaire en raison des désordres observés sur l’ouvrage, ne permet pas de considérer que la créance invoquée est certaine et exigible.

La qualification juridique opérée par le juge des référés lorsqu'il se prononce sur le caractère non sérieusement contestable de l'obligation invoquée devant lui peut être contestée devant le juge de cassation tandis que l'évaluation du montant de la provision correspondant à cette obligation relève, en l'absence de dénaturation, de son appréciation souveraine.

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