L’analyse du besoin, un préalable à tout bon achat

Par Stéphane Rabillard

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L’adage « c’est à ses outils que l’on reconnaît un bon ouvrier » pourrait tout aussi bien s’appliquer à la commande publique. En effet, c’est à une bonne analyse des besoins que l’on reconnaît un achat réussi. Étape pourtant bien souvent négligée par des acheteurs pressés d’obtenir du tangible. La section 2 du titre II de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics, mentionne pourtant que « la nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ».

La détermination du besoin passe par la définition des caractéristiques techniques de l’achat (D. n° 2016-360, art. 6). L’acheteur peut, soit se référer à des normes (ou équivalent), soit décrire lui-même les caractéristiques attendues (performances, exigences particulières, etc.). Classiquement, ces éléments sont développés dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP).

Tout besoin mal défini va entraîner des offres ne répondant pas correctement aux besoins et qui devront être rejetés. Si par mégarde, une de ces offres arrivait au stade de l’exécution, le risque serait alors d’avoir une prestation ne répondant pas au besoin initial (par exemple, vous souhaitiez un bâtiment passif, mais faute de développement dans votre cahier des charges sur les performances attendues, vous vous retrouvez avec un ouvrage « classique »).

L’exemple n’est pas anodin, car la DAJ nous rappelle que l’ordonnance mentionne explicitement la prise en compte d’objectifs de « développement durable dans leur dimension économique, sociale et environnementale ». Il est ainsi recommandé, tout en les encadrant avec précisions afin d’éviter l’écueil évoqué précédemment, de se référer à des normes écologiques ou des labels spécifiques. L’acheteur peut également faire le choix d’intégrer à son marché des clauses d’insertions [un volume d’heure sera réservé à l’embauche, par le titulaire, de personnes éloignées de l’emploi ou d’apprenti(e)s] ou des clauses incitatives sur la formation.

Le recours aux circuits courts (produits frais et de saison par exemple) est également un élément à ne pas négliger lors de l’analyse du besoin, à partir du moment où il n’est pas du « localisme » déguisé.

Autre technique, le sourçing (ou sourçage pour les moins anglophones) est le procédé permettant, à l’acheteur, de préparer la passation d'un marché public, par le biais de consultations ou d’études de marché, en sollicitant l’avis d’opérateurs économiques sur son projet (D. n° 2016-360, art. 4). Cela permet, en rencontrant en amont une entreprise, de mieux cerner son besoin et de s’ouvrir éventuellement à l’innovation. Attention toutefois à ne pas fausser la concurrence en s’enfermant dans un cahier des charges rédigé par une entreprise qui ne pourra alors qu’être la seule à répondre à la mise en concurrence qui suivra. Le risque pénal existe bel et bien, il faut donc être vigilant, et ne pas hésiter à rédiger un guide déontologique interne. Dans sa fiche, la DAJ mentionne d’autres exemples (effectuer une veille dans le secteur économique concerné ; organiser ou participer à des salons professionnels ; rencontrer, bien avant le lancement de la consultation, plusieurs opérateurs économiques ; collecter des informations par questionnaires envoyés à plusieurs fournisseurs ou prestataires, etc.).

Malgré tout, les acheteurs publics le savent, parfois, il n’est pas possible de satisfaire pleinement à une bonne analyse du besoin. La DAJ décrypte dans sa fiche des solutions pour y tendre tout de même.

Différentes procédures doivent ainsi être étudiées : le recours aux accords-cadres (pouvant donner lieu à la conclusion de marchés subséquents ou à l’émission de bons de commande et être conclus sans minimum ni maximum), la procédure concurrentielle avec négociation ou bien encore le dialogue compétitif.

Il est également possible de prévoir des prestations supplémentaires (« ex-options ») et des variantes, qui, si elles doivent être un minimum encadrées, permettent de la souplesse lors du choix final.  

Pour conclure, la DAJ précise qu’il revient à chaque structure de déterminer à quel niveau doivent être appréciés les besoins (ministère, collectivité territoriale, ou service propre). Ainsi, si l’acheteur est composé de services distincts, c’est la valeur totale estimée des marchés publics passés pour les besoins de l’ensemble des services qui compte. Par contre, si le service constitue « une unité opérationnelle responsable de manière autonome de ses marchés publics ou de certaines catégories d’entre eux, le niveau de computation des besoins peut s’apprécier au niveau du service en question ».

Il est important de préciser que le montant estimé du besoin est déterminé conformément aux articles 20 à 23 du décret n° 2016 -360. À ce titre, l’acheteur ne doit pas volontairement se soustraire à la réglementation en effectuant la fameuse technique du « saucissonnage », qui consiste à découper son acte d’achat.

La valeur estimée du besoin est calculée sur la base du montant total hors taxe du marché public (lots, périodes de reconductions, options, tranches, et primes compris). On parle alors de « computation des seuils », qui varie en fonction de la nature de l’achat (fourniture, service ou travaux).

Avant tout acte d’achat (au sens large), il convient donc de se poser les bonnes questions : « Que vais-je acheter ? Quel niveau de détail souhaité-je ? » « Comment puis-je atteindre ce niveau d’exigence ? », et de vérifier, une fois l’opération terminée, si l’objectif est atteint ; car mettons-le-nous en tête : « un bon acheteur se reconnaît à ses outils ». 

Sources :