Gare aux carences de l’avis d’appel public à la concurrence

Par Jessica Serrano Bentchich

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Certaines omissions ou inexactitudes affectant les mentions de l’avis d’appel public à la concurrence (ci-après « AAPC ») sont constitutives d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence du pouvoir adjudicateur. Il est donc important pour l’acheteur de bien renseigner l’AAPC. À défaut, il n’est pas à l’abri d’une résiliation des marchés déférés devant le juge administratif ainsi que l’illustre l’arrêt de la cour administrative de Marseille du 19 mars 2018.

Cet arrêt est l’occasion de préciser que le préfet a la possibilité de déférer devant le juge administratif les marchés publics, qui sont soumis à un contrôle de légalité, qu’il considère entachés d'irrégularités, et ce, dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet acte au contrôle de légalité, éventuellement prorogé par un recours gracieux : « Considérant que les modalités du recours en contestation de la validité du contrat ainsi définies par la jurisprudence n’ont pas de conséquence sur le délai ouvert au préfet par les dispositions législatives précitées pour introduire un déféré devant la juridiction administrative ni sur la prorogation de ce délai par l’exercice d’un recours gracieux ».

D’une part, la cour rappelle le dies a quo du délai de recours contentieux pour le préfet. Bien que l’arrêt « Tarn-et-Garonne » ne le précise pas, le délai de recours de contentieux dont dispose le préfet pour déférer un acte qui doit lui être obligatoirement transmis (contrôle de légalité des actes de l’article L. 2131-2 du CGCT) court à compter de la réception de cet acte (CGCT, art. L. 2131-6).

D’autre part, selon la cour, le préfet peut effectuer un recours gracieux auprès du pouvoir adjudicateur. Ce recours administratif interrompt le délai de recours contentieux. Plusieurs cours administratives ont déjà considéré qu’un recours administratif formé contre un contrat à l’intérieur du délai de recours contentieux de deux mois fixé par les arrêts « Tropic » (CE, 16 juill. 2007, n° 291545) et « Tarn-et-Garonne » (CE, 4 avr. 2014, n° 358994) interrompaient ce délai (CAA Nancy, 20 février 2018, Communauté de communes de Sélestat, n° 16NC02080 ; CAA Lyon, 30 octobre 2013, Société Sic Etanchéité, n° 12LY02963 ;  CAA Douai, 27 septembre 2012, Agence Nathalie, n° 11DA01878).

Cette possibilité s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle, un recours administratif introduit dans le délai de recours contentieux proroge ce délai (CE, 10 juill. 1964, n° 60408, Centre médico-pédagogique de Beaulieu).

Rappelons que le représentant de l’État peut invoquer tout moyen à l’appui de son recours. L’un des moyens soulevés par le préfet concernait les carences affectant les mentions de l’avis d’appel public à concurrence.

Si l’AAPC n’est pas un acte susceptible d’être directement déféré devant la juridiction (CE, 17 févr. 2010, n° 325520, Communauté de communes Flandres Lys), les carences qui l’entachent d’irrégularité peuvent être soulevées lors de la contestation de la validité du contrat par un « tiers lésé » ou par le Préfet.

L’article 40 du Code des marchés publics applicable au litige imposait à l’acheteur de remplir le formulaire européen pour la publicité de son marché. L’article 5 de ce même code imposait à l’acheteur de définir avec précisions la nature et l’étendue de ses besoins.

En l’espèce, l’acheteur avait certes indiqué la nature des prestations par lots, en revanche, il n’avait ni précisé les quantités, ni les modalités de financement des lots dans les rubriques dédiées du formulaire européen (rubriques : « quantité ou étendue du marché » et « modalités essentielles de financement et de paiement et/ou références aux textes qui les règlementent »).

Or, le pouvoir adjudicateur doit mentionner dans l’AAPC la quantité ou l’étendue globale du marché, y compris dans le cadre d’un marché à bons de commande sans minimum ni maximum (CE, 24 oct. 2008, n° 313600, Communauté d'agglomération de l'Artois), et la nature des ressources qu'il entend mobiliser pour le financer, « […] qui peuvent être ses ressources propres, des ressources extérieures publiques ou privées, ou des contributions des usagers » (CE, 11 mai 2007, n° 298864, Région Guadeloupe).

Il en résulte que les opérateurs économiques doivent, à la lecture de l’AAPC, connaître notamment l’étendue ou l’ampleur du marché ainsi que les modalités de son financement. En conséquence, la cour conclut que le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, faute d’avoir précisé ces informations.

La cour considère que le règlement de la consultation ne peut pas pallier les insuffisances de l’AAPC : « […] la circonstance que le règlement de consultation du marché comportait des précisions sur l’étendue des prestations à réaliser et les modalités de paiement du titulaire n’est pas de nature à compenser l’insuffisance des mentions de l’avis d’appel public à concurrence dès lors que le règlement de la consultation ne fait pas l’objet des mêmes mesures de publicité que l’avis d’appel public à concurrence et n’a vocation à être remis qu’aux entreprises qui manifestent leur intérêt pour le marché en cause auprès du pouvoir adjudicateur ».

Quid des conséquences de l’insuffisance de publicité ? La cour estime que les carences affectant les mentions de l’AAPC ne justifient pas l’annulation des lots attaqués, néanmoins, elles auraient pu justifier leur résiliation, si cette dernière avait été encore possible. Rappelons qu’il est impossible pour le juge administratif de résilier un marché totalement exécuté.

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