Exclusivité commerciale rime avec exception aux règles de passation !

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Le Conseil d’État n’en finit pas d’écarter les règles de passation, en particulier de publicité et de mise en concurrence, pour des motifs d’exclusivité, comme ici en matière de logiciels.

Le lecteur se rappelle sans doute de la passation d’un marché d’achat de places de matchs de football sans mise en concurrence au motif qu’un seul distributeur pouvait répondre au besoin. Le juge suprême de l’ordre administratif persiste en considérant que si un prestataire bénéficie d’un droit exclusif pour la maintenance et l'exploitation d’un logiciel, alors le pouvoir adjudicateur n’a pas à lancer de procédure de passation !

En l’espèce, un département avait attribué en 2009 le marché de la fourniture, de la mise en œuvre et du déploiement d'un « espace numérique de travail » dans les collèges publics de son ressort à une société dont la solution informatique est protégée par un certificat délivré par l'Agence pour la protection des programmes. La personne publique a souhaité conclure un marché, en 2013, pour l'exploitation et la maintenance de l'espace numérique de travail en question. Elle a utilisé une procédure négociée sans publicité préalable ni mise en concurrence, selon l’article 35-II du Code des marchés publics, en arguant que le marché ne pouvait être confié qu’à un opérateur déterminé. Le juge du référé précontractuel s'oppose à ce raisonnement en considérant que le pouvoir adjudicateur aurait pu, malgré le brevet, trouver un autre prestataire pour répondre à son besoin.

Le Conseil d’État considère cependant qu’en prenant cette décision, le juge du fond a dénaturé les faits qui lui étaient soumis. Il annule la décision, et par voie de l’évocation, tranche l’affaire au fond.

Il constate en premier lieu qu’en décidant de conserver la structure logicielle choisie en 2009, le pouvoir adjudicateur a défini librement son besoin sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation. Élément crucial du raisonnement, ce premier point débloque la possibilité pour la personne publique de choisir son contractant sans publicité ni mise en concurrence. En effet, une fois ce choix validé, il devient évident que la personne publique ne peut plus faire appel qu’à un prestataire de service : celui qui a le droit exclusif d’entretien du logiciel.

Une telle décision, au-delà de l’illustration des dérogations de l’article 35 du CMP, témoigne des distorsions de concurrence à l’œuvre dans les marchés de logiciels, entre les cas de coopération entre personnes publiques, et, désormais, une protection accrue des logiciels propriétaires. Dans cette optique croisée entre droit des marchés publics et droit de la concurrence, une décision du juge communautaire serait la bienvenue.

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