Conformité de l'offre malgré des pièces non sollicitées

Par Nicolas Quénard

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Dans un souci de transparence, une entreprise candidate à un marché public a ajouté aux documents de son offre comprenant un prix global et forfaitaire, une note non signée de « décomposition du prix » détaillant les prestations et leur coût. Le pouvoir adjudicateur a rejeté l’offre de ladite entreprise comme non conforme au motif que, dans les marchés à prix global et forfaitaire, le prix détaillé des prestations ne doit pas être fourni.

Par le biais d’une question écrite, M. Jean-Louis Masson, parlementaire, a demandé au gouvernement de se prononcer sur la justesse juridique de la réponse apportée par le pouvoir adjudicateur.

Le ministère de l’Intérieur, par une réponse publiée le 18 janvier 2018, a rappelé :

  • d’une part, qu’aucune disposition du droit des marchés publics n’imposait la production d’un DPGF lorsqu’un marché est traité à prix global et forfaitaire ;
  • et, d’autre part, que les acheteurs pouvaient s’affranchir des exigences du RC lorsque la fourniture des éléments demandés ne présentait pas d’utilité pour l’analyse des offres – qu’ainsi, a fortiori, l’acheteur n’est pas tenu de prendre en compte des éléments dont il n’a pas sollicité la production ;

Il a apporté ces précisions avant d’affirmer de manière précautionneuse que « d’une façon générale, l’offre d’un candidat qui avait fourni à l’appui de celle-ci une DPGF, sans qu’elle eût été demandée par l’acheteur et, qui n’a en principe vocation qu’à expliciter le prix proposé, n’apparaît pas, par elle-même, non conforme ».

Autrement dit, le ministère considère que la décision de regarder l’offre de l’entreprise comme non-conforme dans un tel cas doit être considérée, de manière générale, comme irrégulière. Pour les pouvoirs adjudicateurs, il conviendrait donc de considérer l’offre comme conforme.

Toutefois, afin de ne pas être trop abrupt, le ministère souligne, en se fondant malheureusement sur un arrêt non topique de la cour administrative d’appel de Nantes, que « en fonction des circonstances de l’espèce, la réponse à apporter peut donc être différente ».

Au-delà des précautions ministérielles guères convaincantes lorsque rapportées au cas d’espèce soumis par le parlementaire, il est possible d’affirmer que la première partie de la réponse soulignant la conformité d’une telle offre aurait pu être enrichie en évoquant les points suivants :

  • au sujet des modifications à l’initiative des candidats, autrement appelées variantes et régies par l’article 58 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, bien qu’aucune précision ne soit apportée sur la possibilité de recourir à une variante dans le cas d’espèce, il convient de souligner qu’en tout état de cause, le fait de simplement produire un document supplémentaire ne peut être décemment analysé comme une variante en ce que cela ne change aucunement les spécifications requises par l’acheteur ;
  • sur la notion de conformité de l’offre, qui englobe les notions d’offre inacceptable, inappropriée et irrégulière, il convient d’emblée d’affirmer que la production d’un DPGF en sus du prix global et forfaitaire ne peut rendre :
  1. une offre inacceptable, une offre n’étant inacceptable que lorsque son prix excède les crédits budgétaires alloués au marché public ;
  2. ni une offre inappropriée, une offre inappropriée étant une offre sans rapport avec le marché public, incapable de répondre aux besoins exprimés sans modification substantielle.

S’agissant de la notion d’offre irrégulière, l’article 59 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 précise qu’il s’agit d’une offre « qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète ». Bien que l’adverbe « notamment » permette d’entretenir un certain flou sur l’étendue de la notion, il apparaîtrait particulièrement critiquable, pour dire le moins, de suggérer qu’un surcroît d’information présenté par les soumissionnaires doive amener une offre à être classée comme irrégulière.

L’esprit du décret semble être en effet de critiquer l’absence d’information. Utiliser cet article afin d’écarter une offre alors même que le soumissionnaire fait preuve d’une louable transparence apparaît ainsi vicieux. Par ailleurs, en pratique, nombreuses sont les offres comportant plus de documents commerciaux que ceux demandés… Autoriser une telle sanction dans ce cas semble pour le moins contreproductif.

En sus de ces quelques réflexions juridiques qui demanderaient à être approfondies au cours d’un contentieux salutaire dans un souci de clarté juridique, quelques conseils peuvent être distillés :

  • pour les acheteurs, dans un tel cas, il convient d’éviter d’écarter une offre sur ce fondement, le risque contentieux paraissant assez élevé. Au regard de la notation, il suffit pour l’acheteur de ne prendre en compte que les informations exigées par le règlement de la consultation ;
  • pour les entreprises, dans une optique concurrentielle et économique, se restreindre aux productions demandées par les acheteurs apparaît malheureusement être l’option la moins risquée.

Sources :