Candidats condamnés : la souplesse du droit ne permet pas tout !

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La commission d’une faute professionnelle grave fonde l’impossibilité pour une personne physique ou morale de candidater à un marché public. Cette règle stricte apparaît de longue date dans le droit de la commande publique et se retrouve encore aujourd’hui dans le corpus de règles en vigueur. Le juge européen en fait une application pragmatique cependant, en acceptant depuis 2006 que son application soit proportionnée à la gravité de la faute commise. Dans un arrêt rendu le 14 décembre 2016, il rappelle que cette atténuation de la règle n’est pas intangible : le pouvoir adjudicateur doit respecter les règles qu’il a lui-même édicté. Ainsi, un pouvoir adjudicateur ne peut décider d’attribuer un marché public à un soumissionnaire ayant commis une faute professionnelle grave au motif que l’exclusion de ce soumissionnaire de la procédure d’adjudication aurait été contraire au principe de proportionnalité, alors que, selon les conditions de l’appel d’offres de ce marché, un soumissionnaire ayant commis une faute professionnelle grave devait être nécessairement exclu sans prendre en compte le caractère proportionné ou non de cette sanction.

En l’espèce, le ministère de la Santé, du Bien-Être et des Sports des Pays-Bas avait décidé d’attribuer un marché de services à une association d’entreprises en octobre 2012. Quelques semaines à peine après que la décision d’attribuer a été notifiée, l’association d’entreprises et certains de ses dirigeants ont été condamnés pour des infractions aux droit de la concurrence néerlandais. Un candidat évincé a contesté la légalité de la décision d’attribution en se fondant sur les règles d’exclusions prévues dans la directive de 2004. Le juge suprême néerlandais interroge à l’occasion de ce litige la Cour de justice de l’Union européenne : une législation nationale peut-elle obliger les pouvoirs adjudicateurs à prévoir que toute exclusion fera préalablement l’objet d’une instruction pour s’assurer que cette mesure est proportionnée d’une part ? Et, d’autre part, si un pouvoir adjudicateur a prévu que lorsque les conditions d’exclusions d’un candidat sont réunies il doit l’exclure, peut-il ensuite vérifier si cette exclusion est proportionnée ?

Le juge de l’Union explique en premier lieu qu’il est permis aux États membres d’assouplir les règles d’exclusions portant sur la faillite, les délits affectant la moralité professionnelle ou encore le non-respect des obligations fiscales ou sociales (Dir. no 2004/18, art. 45, point 2 ; à noter que ces dispositions ont été conservés dans la directive no 2014/24, art. 57, point 4). En effet, le droit de l’Union n’envisage pas une uniformité d’application des causes d’exclusion dans la mesure où les États membres ont la faculté de ne pas appliquer du tout ces causes d’exclusion, ou bien de les intégrer dans la réglementation nationale avec un degré de rigueur qui pourrait être variable selon les cas, en fonction de considérations d’ordre juridique, économique ou social prévalant au niveau national. Dans ce cadre, les États membres ont le pouvoir d’alléger ou de rendre plus souples les critères établis à cette disposition (CJUE, 10 juillet 2014, C-358/12, Consorzio Stabile Libor Lavori Pubblici). Le droit des Pays-Bas a introduit cette souplesse en permettant aux pouvoirs adjudicateurs d’apprécier le caractère proportionné de la mesure d’exclusion de la procédure de passation.

En revanche, poursuit-il, si le pouvoir adjudicateur n’a pas fait application de cette souplesse possible, il doit appliquer strictement les règles qu’il a défini, conformément à une jurisprudence établie de la Cour (CJUE, 10 octobre 2013, Manova, C-336/12). En l’espèce, il se trouve dans l’obligation d’exclure le candidat qu’il avait retenu, sans pouvoir atténuer les effets de cette mesure.

Le droit français intègre certains assouplissements aux règles d’exclusions dans l’ordonnance de 2015 (art. 45), permettant notamment à une entreprise dont l’un des dirigeants a été condamné de candidater à un marché si la personne condamnée n’exerce plus de fonctions dans l’entreprise. Mais, comme le juge de l’Union le rappelle dans cet arrêt, si le pouvoir adjudicateur prévoit une exclusion stricte des candidats condamnés, il devra s’y tenir !

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