Attention à la lenteur des circuits de validation du maître d’ouvrage dans les marchés de travaux

Par Emmanuel Camus

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Le Conseil d’État rappelle les règles d’engagement de la responsabilité du maître d’ouvrage en cas de défaillance de sa part dans ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché. À cet égard, un retard d’un seul mois dans l’exécution des travaux en raison d’une telle défaillance peut suffire pour ouvrir droit à réparation pour le titulaire du marché. En outre, la présence d’un maître d’ouvrage délégué ne suffit pas à exonérer entièrement le maître d'ouvrage de sa responsabilité.

La règle est bien connue : les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie, soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat, soit qu’elles sont imputables à une faute du maître de l’ouvrage (CE, 23 juin 1993, S.A. Roussey, n° 47180 ; CE, 9 mars 2007, M. Beluard, n° 276908 ; CE, 5 juin 2013, Région Haute-Normandie, n° 352917).

Et en ce qui concerne cette dernière hypothèse, il est important de rappeler qu’une faute d’un maître d’ouvrage délégué est assimilable à une faute du maître d’ouvrage pour l’application de cette règle, de telle sorte que les constructeurs peuvent rechercher la responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage pour les fautes commises par son mandataire (CE, 7 juin 2010, Commune de Mantes-la-Jolie, n° 313638). Le maître d’ouvrage conserve toutefois la possibilité de présenter des conclusions d’appel en garantie dirigées contre son maître d’ouvrage délégué.

Dans le cas présent soumis à l’appréciation du Conseil d’État, il était question d’un marché de travaux lancé par le centre hospitalier du Lamentin et portant sur la construction d'un bâtiment destiné à abriter un nouveau service de néphrologie-hémodialyse-hématologie. Le centre hospitalier avait délégué la maîtrise d'ouvrage à la société d'équipement de la Martinique (SODEM).

La cour administrative d’appel de Bordeaux avait condamné le centre hospitalier à indemniser le titulaire, en raison de l'allongement du délai de l'exécution du marché, pour deux fautes : en premier lieu, la validation tardive d’un devis et, en second lieu, des délais importants mis par la maîtrise d'œuvre pour valider l'ensemble des modifications du marché, étant précisé que le maître d’ouvrage avait connaissance de ces difficultés résultant d'un circuit de validation des solutions techniques excessivement long.

Si le centre hospitalier avait présenté des conclusions d’appel en garantie dirigées contre son maître d’ouvrage délégué, la cour administrative d’appel les avait toutefois limitées à la moitié des condamnations, eu égard aux conditions d’exécution du chantier et au fait que le maître d’ouvrage avait également connaissance des difficultés résultant d'un circuit de validation des solutions techniques excessivement long.

Le Conseil d’État confirme le raisonnement de la cour administrative d’appel de Bordeaux en ce qui concerne les surcoûts liés à l’excessive longueur du circuit de validation des solutions techniques, il ne retient pas la validation tardive du devis, en raison d’une dénaturation des faits par la cour.

En outre, le Conseil d’État apprécie également de manière stricte le partage de responsabilité entre le maître d’ouvrage et son maître d’ouvrage délégué, et confirme donc que c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour administrative d'appel a limité à la moitié des condamnations mises à la charge du centre hospitalier la condamnation de la SODEM à le garantir.

Cet arrêt, qui s’inscrit dans la droite ligne d’une jurisprudence constante du Conseil d’État, est avant tout l’occasion de rappeler l’importance, pour le maître d’ouvrage, d’assurer avec rigueur son obligation de contrôle et de direction du marché.

À cet égard, mettre en place des circuits de validation efficaces est important, afin de respecter les délais d’exécution des travaux ; et la présence d’un maître d’ouvrage délégué ou d’un coordonnateur « ordonnancement, pilotage, coordination » (OPC) ne suffit pas à exonérer le maître d’ouvrage de sa responsabilité.

On ne peut que conseiller vivement, à la lecture de cet arrêt, une attitude vigilante dans la mise en place d’un circuit de validation optimal dans l’exécution des marchés ; dans le cas contraire, un simple retard d’un mois dans l’exécution des travaux peut ouvrir droit à indemnisation pour le titulaire du marché.

Sources :