Attention aux pénalités de retard, elles peuvent être abusives !

Par Laurence Martini

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Seule l’entreprise responsable du retard dans l’exécution de la prestation peut subir des pénalités. Lorsque l’acheteur met en œuvre des pénalités de retard à l’ensemble des entreprises concourant à une prestation, ces pénalités peuvent être qualifiées d’abusives et l’acheteur public sera financièrement sanctionné.

Les pénalités de retard sont très pratiquées dans les marchés publics puisqu’elles permettent d’assurer la bonne exécution de la prestation dans des délais contraints. Néanmoins, pour le député Paul Molac, appliquées de manière successive par les acheteurs « profitants du retard de certains corps de métier », elles sont détournées de leur finalité première, faisant de ces sanctions pécuniaires, des pénalités abusives et dangereuses pour la « santé financière » des entreprises concernées. Il demande en conséquence au ministre de l’Économie et des Finances quelles mesures existent afin d’éviter de telles pratiques.

Comme le rappelle le ministre de l’Économie et des Finances, ces pénalités sont « organisées dans les dispositions contractuelles du marché », puisque ni l’ordonnance du 23 juillet 2015 ni le décret du 25 mars 2016 ne les prévoient. En effet, seuls les CCAG organisent les modalités d’application et le calcul des pénalités de retard à travers leurs articles 20, 15 ou 14.

Pour être appliquées, l’acheteur peut décider soit de faire référence à ces articles, soit créer une clause particulière. Dès lors qu’elles sont fixées contractuellement, elles deviennent un droit pour l’administration qui sera légitimement fondée à mettre en œuvre des pénalités au moindre écart de conduite des titulaires, et cela sans mise en demeure préalable (si le marché le prévoit). Mais, ces écarts de conduite et le non-respect des engagements, comme le souligne le ministre de l’Économie et des Finances, peuvent entraîner des dommages importants et coûteux aux acheteurs, impactant potentiellement le bon fonctionnement du service public, notamment « en cas de manquements persistants ou répétés à [leurs] obligations contractuelles » ; aussi, des pénalités  « lourdes » seront pleinement justifiées.   

Parallèlement, les acheteurs ont la possibilité de renoncer aux pénalités. Cette renonciation peut se faire de façon contractuelle ou par décision unilatérale. Par ailleurs, les acheteurs sont toujours fortement inciter à faire une application raisonnée des pénalités de retard en mettant dans la balance la capacité financière de l’entreprise en particulier face à une TPE ou PME, le montant du marché, les « enjeux découlant du respect des délais (exigence de disponibilité, impératifs de livraison) et [le] poids attribué au critère délai lors de la sélection des offres. » Par ailleurs, il est à noter qu’en cas de contestation, le juge peut «  moduler ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat, par application des principes dont s’inspire l’article 1152 du Code civil, si ces pénalités atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché ».

Face à ces usages détournés, le ministre indique surtout que les entreprises peuvent soulever le principe général d’imputabilité de la faute : seule l’entreprise responsable personnellement du retard peut être sanctionnée. Les entreprises injustement pénalisées pourront démontrer que le retard est directement imputable à « un évènement extérieur, à un autre opérateur ou à un tiers intervenu en amont de l’opération ». Le juge vérifiera ainsi que les conditions de l’imputabilité sont remplies. Aussi, un acheteur qui appliquerait des pénalités « à l’ensemble des opérateurs intervenants sur une opération alors que le retard est la conséquence fautive de l’un des titulaires intervenants en amont » ferait un usage abusif des pénalités. Les entreprises pourraient contester le montant des acomptes ou le décompte du marché et demander au juge le remboursement de ces pénalités, considérées alors comme des retards de paiement. À ce titre et de plein droit, l’acheteur pourrait alors être sévèrement sanctionné par le versement d’intérêts moratoires importants et au versement d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement ajoutée à une éventuelle capitalisation des intérêts, et cela de plein droit (cette fois) au bénéfice de l’entreprise.

En conséquence, comme il est souvent proposé par la Direction des Affaires juridiques, les acheteurs ne doivent-ils pas préférer la carotte des clauses incitatives au bâton des pénalités ?

Sources :