Abandonner une procédure pour insuffisance de concurrence, c’est possible

Par Emmanuel Camus

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Une décision récente du Conseil d’État apporte un éclairage intéressant sur une question inédite : l’insuffisance de concurrence comme motif d’intérêt général permettant de déclarer une procédure sans suite.

(CE, 17 sept. 2018, no407099)

La société Le Pagus, titulaire sortant de la délégation de service public relative à l'aménagement et à l'exploitation du lot de plage no 5 de la commune de Fréjus, s’était portée candidate, sans succès, à son renouvellement lors des deux procédures d’attribution qui ont été successivement engagées par la commune.

Car il y a eu, en effet, deux procédures :

  • la première, dans laquelle la société Le Pagus avait été seule à présenter une offre, a été déclarée infructueuse par la commune au motif que « le manque de concurrence ne permet pas de juger correctement la proposition qui est de surcroît incomplète » ;
  • la seconde, au terme de laquelle le contrat a finalement été attribué à une société concurrente.

La société Le Pagus a obtenu du tribunal administratif de Toulon, dont le jugement a été confirmé par un arrêt définitif de la CAA de Marseille, l’annulation de la délibération déclarant la première procédure infructueuse. Suite à son éviction de la seconde procédure, elle a exercé un recours afin d’obtenir l’indemnisation de son manque à gagner, recours rejeté par ces mêmes juridictions.

Tout d’abord, le Conseil d’État écarte, sans surprise, le moyen tiré de ce que la Cour aurait méconnu l'autorité de la chose jugée en admettant que la commune pouvait légalement renoncer à poursuivre la procédure alors que sa décision d'y renoncer avait été annulée.

En effet, la Cour se bornait à tirer les conclusions d’une distinction qu’il est important de rappeler : effectivement, la commune ne pouvait déclarer la procédure infructueuse, puisque la déclaration d’infructuosité ne vise que l'absence d'offre ou la situation dans laquelle toutes les offres reçues sont inappropriées, irrégulières ou inacceptables. Toutefois, la commune conserve parfaitement la possibilité de renoncer à poursuivre la procédure pour un motif d'intérêt général, communément appelée déclaration sans suite.

Ensuite, le Conseil d’État examine une question plus originale : celle du motif d’intérêt général justifiant l’abandon de la procédure, l’insuffisance de concurrence.

Si l’ancienne fiche de la DAJ relative à la déclaration sans suite faisait référence à ce motif en évoquant notamment la jurisprudence de la CJUE (CJUE, 16 sept. 1999, C-27/98, Fracasso et Leitschutz), la question était inédite devant le Conseil d’État, lequel va considérer de manière laconique que l'insuffisance de la concurrence constitue bien un motif d'intérêt général susceptible de justifier la renonciation à conclure un contrat de délégation de service public.

Cette appréciation, assez libérale, se retrouve dans les conclusions du rapporteur public : « Le motif tiré de l'absence de concurrence nous paraît aussi constituer un motif d'intérêt général puisque le jeu de la concurrence permet en principe à l'acheteur public d'obtenir l'offre la plus avantageuse. […] Certes, mettre fin à la procédure ne garantira pas qu'une nouvelle mise en concurrence aura plus de succès. Mais cela en ouvre la possibilité, surtout si la personne publique modifie les conditions du contrat, et cette possibilité nous semble une raison suffisante pour que l'acheteur la tente. »

Enfin, un dernier point de cette décision, dans un tout autre domaine, mérite d’être mentionné. La société requérante reproche à l’arrêt d’avoir admis que la commune de Fréjus avait pu prévoir, parmi les critères de sélection des offres, de prendre en compte le montant de la redevance proposée par les candidats alors que, selon la société requérante, le tarif de la redevance doit être fixé par la collectivité.

Le Conseil d’État écarte ce moyen, en jugeant qu'aucune disposition ne fait obstacle à ce que la collectivité délégante négocie librement avec les candidats à l'attribution d'un tel sous-traité l'ensemble des éléments composant leur offre, y compris le montant de la redevance afférente à l'occupation du domaine public.

On ne peut qu’être en accord avec les conclusions du rapporteur public qui relève justement l’importance de cette possibilité dans une optique de bonne gestion du domaine public : « La collectivité délégante négociant librement avec les candidats tous les éléments constitutifs de la future convention, nous ne voyons pas ce qui pourrait faire obstacle à ce qu’elle puisse négocier également le montant de la redevance, en vue d’obtenir le meilleur rendement économique du domaine, la valorisation économique du domaine faisant aujourd’hui et depuis longtemps partie des objectifs que le gestionnaire du domaine peut légitimement poursuivre. »