Projet de loi ELAN, pour donner de l’élan à la commande publique ?

Par Nicolas Quénard

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Constatant la tension régnant sur le secteur du logement en France, le Gouvernement, à travers le projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique dit ELAN, cherche à répondre aux enjeux de tension locative ainsi que d’inadéquation entre l’offre et la demande de logement en proposant une série de mesures visant à faciliter l’activité dans la construction et la rénovation du parc bâti afin de « simplifier et accélérer l’acte de construire » pour « construire plus, mieux et moins cher pour provoquer un choc d’offre ».

Pour cela, et bien que rien ne garantisse que moins de régulation puisse permettre de produire plus de logements, le projet de loi ELAN s’efforce notamment de « mettre en phase avec les enjeux actuels » les règles de la commande publique en réduisant les obligations pesant sur les acteurs participant à la construction de logements.

En l’état, le projet de loi vise à modifier, notamment, la loi MOP, le CCH, le CGCT ainsi que l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics. Dans le détail, le projet de loi ELAN prévoit, notamment :

  • des dérogations aux règles régissant la relation entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre :
  1. l’article 3.V. ne soumettant plus à la loi MOP la réalisation d’ouvrages d’infrastructure situés dans le périmètre d’une opération d’intérêt national ou d’une grande opération d’urbanisme ;
  2. l’article 5.III. ne soumettant plus les ouvrages publics réalisés par le concessionnaire d’une opération d’aménagement à la loi MOP ;
  3. l’article 28.V. ne soumettant plus les OPHLM au titre II de la loi MOP ;
  4. l’article 28.VI. supprimant l’obligation de recourir au concours d’architecture pour les marchés de maîtrise d’œuvre des OPHLM et de certaines SEM ;
  5. l’article 20.I. prolongeant jusqu’en 2021 la dérogation à la loi MOP permettant le recours libre à la conception-réalisation pour les opérations de construction de logements sociaux.
  • ainsi qu’une harmonisation du régime des commissions d’appels d’offres (ci-après CAO) à l’article 20.II.

S’agissant des deux premiers points visant à ne plus soumettre à la loi MOP, tant la réalisation d’ouvrages d’infrastructures situés dans le périmètre d’une OIN ou d’une grande opération d’urbanisme que la réalisation d’ouvrages publics réalisés par le concessionnaire d’une concession d’aménagement, il convient de souligner que selon l’étude d’impact, ces mesures seraient particulièrement utiles pour « faciliter la réalisation d’opération d’aménagement d’envergure, comprenant la production de plusieurs milliers de logements » ainsi que pour « gagner en temps de mise en œuvre et en cohérence de l’aménagement global » et « faciliter le financement de l’équipement dans le cadre d’une opération d’aménagement ».

Concernant l’article 28.V. du projet de loi, par lequel le Gouvernement propose de ne plus soumettre les OPHLM au titre II de la loi MOP, il apparaît nécessaire de mettre en exergue l’impact considérable de cette mesure, qui, de facto, videra de sa substance la loi MOP pour les OPHLM. Selon l’étude d’impact, cette mesure est justifiée parce que la loi MOP constitue « non une aide mais un frein à la recherche de la performance de l’activité de construction du secteur des organismes de logements sociaux, sans amélioration particulière de la qualité architecturale des réalisations ». En effet, le Gouvernement considère que « les bâtiments de logement social réalisés par les bailleurs sociaux soit en recourant à la procédure de conception-réalisation ou à la VEFA sont de même qualité que ceux réalisés en suivant les procédures du titre de la loi MOP », reprenant ici les arguments de l’USH (Union Social pour l’Habitat).

Dans une veine similaire, l’article 28.VI., en modifiant l’article 5-1 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture, supprime l’obligation de recourir au concours d’architecture pour les marchés de maîtrise d’œuvre des OPHLM mentionnés à l’article L. 411-2 du Code de la construction et de l’habitation ainsi que les sociétés d’économie mixte mentionnées à l’article L. 481-1 du même code pour leur activité agréée. Pour justifier cette mesure, le Gouvernement s’appuie sur les arguments résumés au point précédent et affirme que la procédure de concours, « centrée sur la séduction visuelle du projet, ne permet pas d’atteindre la solution optimale centrée sur la performance ».

Enfin, concernant l’article 20.I. du projet de loi modifiant l’article 33 de l’ordonnance n° 2015-899 relative aux marchés publics, qui prolonge jusqu’au 31 décembre 2021 la dérogation à la loi MOP permettant de recourir librement à la conception-réalisation pour les opérations de construction de logement sociaux, il convient de mentionner que cette prolongation fait suite à une extension similaire qui avait déjà étendu en 2013 cette dérogation jusqu’au 31 décembre 2018. Ce renouvellement constitue donc une pérennisation de la possibilité ouverte aux OPHLM et SEM constructeurs de logement sociaux de ne pas à avoir à prouver l’existence de motifs d’ordre technique ou d’engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique afin de pouvoir recourir à la conception-réalisation. Selon le gouvernement, cette pérennisation est rendue nécessaire au vu de la hausse des coûts qu’entraînerait un non-renouvellement du dispositif.

Par ailleurs, l’harmonisation du régime des commissions d’appels d’offres prévue à l’article 20.II. du projet comporte deux éléments :

  • en son 1°), pour les collectivités territoriales, l’article 20.II. du projet de loi a le mérite de mettre fin à un débat cristallisé par un jugement du 5 juillet 2017 du tribunal administratif de Nantes qui considérait que le champ d’intervention des CAO devait concerner tous les marchés supérieurs ou égaux aux seuils peu importe la procédure de passation retenue. Le projet affirme que les marchés publics concernés par les CAO sont ceux passés selon une procédure formalisée et modifie en ce sens l’article L.1414-2 du CGCT ;
  • en son 2°), pour les OPHLM, l’article susmentionné simplifie le régime des CAO des OPHLM en l’alignant sur celui des organismes privés d’HLM. Le projet prévoit donc de modifier également l’article L.1414-2 du CGCT afin que les CAO des OPHLM soient régies par les règles du CCH applicables aux organismes privés d’HLM.

Nul doute que les architectes, et notamment leurs ordres professionnels, seront vent debout contre la plupart des mesures relatives à la loi MOP ou à la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture ainsi que le démontre une lettre ouverte envoyée au Premier ministre signée par le Conseil national de l’Ordre des architectes ainsi que par cinq organisations professionnelles du bâtiment. Au vu des évolutions textuelles possibles, ainsi que du lobbying de tous les acteurs impliqués, il sera ainsi intéressant de voir sous quelle forme le texte final sera voté.

Sources :