L’architecte n’est pas un médiateur, sa mission est d’éclairer le maître d’ouvrage

La décarbonation de la production et de l’exploitation des bâtiments, prévue par la réglementation environnementale 2020, ne touche pour l’instant que la partie production. Cependant, elle devrait entraîner de nouvelles contraintes techniques relevant encore le niveau d’exigence, tant sur la conception que l’exécution. Dans un contexte de pénurie des matières premières sur les marchés publics, Michel Klein, directeur général adjoint en charge de de la stratégie juridique, des services et de l’international à La MAF, mutuelle des architectes de France, revient sur le rôle des architectes.

Propos recueillis par Éléonore Bohn

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Comment se positionne un architecte sur une commande publique ?

En France, la commande publique a toujours été synonyme de qualité architecturale. Solidement encadrée par la loi Maîtrise d’ouvrage publique (loi MOP) de 1985, elle est régie par des règles qui garantissent l’indépendance de l’architecte vis-à-vis de l’entreprise. Elle lui assure sa place d’interlocuteur privilégié du maître d’ouvrage et lui donne une mission qui respecte le process de conception progressive de l’architecture jusqu’à la maîtrise du chantier. Avec cette loi, l’architecte se positionne dans un environnement technique et juridique qui a fait ses preuves. Elle vaut d’ailleurs aujourd’hui à l’architecture publique française une véritable reconnaissance de qualité à l’international.

Malheureusement, la montée en puissance depuis quelques années des marchés globaux – de conception-réalisation ; de performance énergétique ; sectoriels – inquiète les architectes. Dans ce mode de dévolution de la commande, l’architecte est placé sous la coupe de l’entreprise principale, mandataire du groupement de constructeurs. Par cette association contre nature au sein du groupement, outre le fait que l’architecte se retrouve solidaire de l’entreprise et se voit attribuer des responsabilités qui ne sont pas les siennes, il ne peut pas assumer son rôle de conseil indépendant auprès d’une maîtrise d’ouvrage. Celle-ci est bien souvent attirée par la notion de prix et de délai définitifs au sacrifice de la qualité architecturale et technique. Dans ces marchés, l’architecte est placé dans un environnement risqué pour lui et pour le projet.

Avec la crise des matières premières, l'architecte est-il en train de devenir un médiateur ?

L’architecte n’est pas un médiateur. Sa mission est d’éclairer, dans les limites de la mission confiée, le maître d’ouvrage pour l’amener à prendre la meilleure décision sur des sujets où il n’a pas de compétence : c’est le devoir de conseil.

Dans l’actuelle pénurie de matériaux qui génère outre des allongements de délais, ainsi qu’un renchérissement des prix de construction, le rôle de l’architecte est de conseiller le maître d’ouvrage. Il l’informe sur les difficultés que peuvent rencontrer les entreprises dans une économie mise à mal par la forte reprise de l’activité mondiale, et sur les conséquences que cela peut avoir sur la bonne marche de l’opération.

L’architecte rappelle les engagements pris par les uns et les autres, mais ne décide pas à la place de son client. Il vérifie la réalité des demandes et des éventuelles réclamations des entreprises. Il peut, par exemple, suggérer au maître d’ouvrage de rencontrer l’entrepreneur pour faciliter le dialogue ou évoquer des pistes permettant de répondre aux difficultés rencontrées. Mais l’architecte n’a pas d’obligation d’aboutir à un accord sur les choix de matériaux, les prix et les délais du fait de la crise. Il peut également aider à la résolution de difficultés rencontrées, en proposant avec l’ensemble des intervenants des solutions techniques ou des variantes permettant de les contourner.

Actuellement quels sont les points de vigilance à avoir, lors d'une réponse à une commande publique ?

En France, la commande publique d’architecture est très encadrée par les règlementations. Et, d’une certaine manière, ces textes permettent d’anticiper bon nombre de difficultés qui peuvent se présenter pendant le déroulement de l’opération de construction. Pourtant, la complexité juridique et le devoir de conseil incitent l’architecte à une vigilance permanente.

Dans ce contexte évolutif et souvent instable, il est intéressant de souligner l’apport très positif du CCAG – Maîtrise d’œuvre[1] applicable depuis le 1er avril 2021. Cette création rééquilibre la relation entre l’acheteur public et la maîtrise d’œuvre. À titre d’exemple, certains moments-clés de l’opération sont désormais décidés par la maîtrise d’ouvrage, le replaçant ainsi au centre de l’opération. On peut également indiquer que les pénalités de retard sont plafonnées. Ou encore que, contrairement à l’esprit des CCAG, le silence du maître d’ouvrage vaut acceptation. Additionnées à une multitude d’autres dispositions, le CCAG – Maîtrise d’œuvre prend désormais en compte la spécificité de la maîtrise d’œuvre. Parfois même dans des domaines aussi nouveaux que la dématérialisation, la crise sanitaire ou l’environnement.  Pour résumer, si les contrats globaux préoccupent aujourd’hui les architectes, de son côté le CCAG – Maîtrise d’œuvre représente une belle avancée pour la pratique de la commande publique d’architecture qui mérite d’être soulignée.

[1] Cahier des clauses administratives générales de maîtrise d’œuvre.