Marchés publics d’exploitation forestière: quasi inexistants il y a dix ans, ils se concluent en millions d’euros en 2018 !

Par Sylvie Marguerite Ducret

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Initié entre les années 2005 et 2008, le changement historique de mode de vente des bois issus des forêts domaniales et communales, gérées par l’Office national des forêts (ONF), a provoqué l’avènement de l’achat public de services d’exploitation forestière, inusité auparavant.

I. Le mode de vente en bois façonnés des forêts publiques induit l’achat public préalable de travaux d’exploitation forestière.

Le nouveau mode de vente concerne environ un tiers du volume de bois commercialisé annuellement, issu des forêts de l’État, des communes et autres collectivités. Il consiste à vendre des bois « façonnés », c’est-à-dire des arbres abattus, présentés alignés ou en piles « bord de route » par opposition à la « vente sur pied ». L’enjeu de ce nouveau mode de commercialisation des bois est d’assurer un approvisionnement en bois plus régulier, dans le temps et en qualité, à la filière des scieurs et autres usines de transformation du bois.

Historiquement, le mode de vente des bois des forêts publiques était la vente aux enchères descendantes à la criée lors d’adjudications publiques de « coupes de bois sur pied ». Les modalités pratiques ayant évolué, les bois sur pied se vendent aujourd’hui par soumissions cachetées ou électroniques. Il reste que, lorsque les bois sont encore ainsi vendus sur pied, c’est aux marchands de bois et aux exploitants forestiers de faire leur affaire, à leur frais, sous leur responsabilité et avec leur propre main d’œuvre ou par recours à des bûcherons professionnels, de l’abattage des arbres et de leur vidange des parcelles forestières exploitées. Dans ce cas, les personnes publiques ne sont aucunement concernées par l’achat de services forestiers ; l’ONF pour les bois de l’État et les collectivités pour leurs forêts ont la seule qualité de vendeurs de produits à couper.

À l’inverse, et depuis une dizaine d’années, lorsque ces mêmes personnes publiques décident de vendre leurs bois « bord de route », elles doivent au préalable faire réaliser les travaux d’exploitation forestière : bûcheronnage, façonnage, écorçage, débardage, etc. Très logiquement, les personnes publiques se trouvent alors soumises aux règles de la commande publique pour acheter ces travaux de récolte de bois.

II. Acheter des « travaux forestiers » par un acheteur public : de quoi parle-t-on ?

Il est utile de définir les termes selon le droit forestier, puis dans un second temps, selon les règles de la commande publique.

Les travaux forestiers selon le Code forestier et le Code rural rejoignent une réalité technique.

Les forestiers, propriétaires, gestionnaires, experts, entrepreneurs, marchands de bois ou exploitants forestiers, connaissent tous la diversité des travaux incluse dans la terminologie technique des « travaux forestiers ».

Même sur le plan juridique, le Code forestier et le Code rural et de la pêche maritime en donnent une définition légale. Celle-ci les compartimente en deux grandes catégories : les « travaux de récolte de bois » et les « travaux sylvicoles », sans compter les « travaux d’infrastructure » directement liés aux deux premières catégories lorsqu’ils leur sont accessoires (exemple : la création d’une piste de débardage pour faire passer le tracteur qui traîne les grumes après leur abattage).

Précisément, le Code rural et de la pêche maritime, aux trois premiers alinéas de son article L. 722-3, considère comme travaux forestiers :

« 1° Les travaux de récolte de bois, à savoir abattage, ébranchage, élagage, éhoupage, débardage sous toutes ses formes, les travaux précédant ou suivant normalement ces opérations tels que débroussaillement, nettoyage des coupes ainsi que transport de bois effectué par l'entreprise qui a procédé à tout ou partie des opérations précédentes et, lorsqu'ils sont effectués sur le parterre de la coupe, les travaux de façonnage, de conditionnement du bois, de sciage et de carbonisation, quels que soient les procédés utilisés, ainsi que la production de bois et dérivés destinés à l'énergie ou à l'industrie ;

2° Les travaux de reboisement et de sylviculture, y compris l'élagage, le débroussaillement et le nettoyage des coupes ;

3° Les travaux d'équipement forestier, lorsqu'ils sont accessoires aux travaux ci-dessus. »

Tandis que l’article L. 154-1 du Code forestier considère « comme des travaux de récolte de bois, au sens du présent code, outre les éclaircies, les travaux forestiers mentionnés au 1° de l'article L. 722-3 du Code rural et de la pêche maritime, à l'exception de l'élagage et du débroussaillement. »

Cependant, au sens de la commande publique, les travaux forestiers sont des services.

Les acheteurs publics de travaux forestiers pourraient être tentés de les ranger dans la nature des marchés de travaux, et les entrepreneurs de travaux forestiers, de leur côté, d’organiser leur veille des appels d’offres à partir de cette catégorie.

Or, tant les travaux de récolte de bois que les travaux sylvicoles, et tous les travaux forestiers sont, au sens de la terminologie et de la réglementation des marchés publics, des services. En effet, les travaux forestiers qui font intervenir des entrepreneurs de travaux forestiers (dits ETF) ne donnent pas lieu à la réception d’ouvrages de bâtiments ou de génie civil. Ils n’entrent pas dans la définition donnée par l’article 5 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015.

Pour rappel, cet article définit les « marchés de travaux » comme les marchés conclus avec des entrepreneurs, qui ont pour objet :

a) soit l’exécution, soit la conception-exécution de travaux dont la liste est publiée au JORF, or cette liste publiée le 27 mars 2016 dite « Avis relatif à la liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique » ne mentionne pas les « travaux forestiers » mais seulement des travaux de bâtiment ou d’infrastructure :;

b) soit la réalisation, soit la conception-réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur « qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception », et sachant qu’un ouvrage est le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique.

Pour corroborer cette distinction, la nomenclature commune des marchés publics (dite CPV) liste parmi les services tout ce qui pourrait s’appeler en France travaux dans le domaine forestier, par opposition aux travaux du BTP (division 45xxxxxx / CPV), par exemple :

77200000-2    Services sylvicoles.

77210000-5    Services de débardage.

77211100-3    Services d'exploitation forestière.

77211400-6    Services d'abattage d'arbres.

77211500-7    Services d'élagage.

77230000-1    Services liés à la sylviculture.

77231000-8    Services de gestion des forêts.

77231400-2    Services d'inventaire forestier.

77231500-3    Services de surveillance ou d'évaluation des forêts

77231600-4    Services de boisement.

III. Le droit public s’applique aux marchés de services forestiers passés par l’ONF et les collectivités

Avant l’entrée en application de l’ordonnance du 23 juillet 2015, l’ONF était dans la situation des EPIC non soumis de plein droit au Code des marchés publics. Volontairement, l’ONF avait toutefois choisi de longue date d’appliquer le code pour tous ses achats non forestiers. Quant aux marchés de services forestiers à réaliser dans les forêts domaniales, l’ONF passait des « marchés privés passés en la forme des marchés publics » relevant des tribunaux de commerce. Cette situation n’existe plus.

Depuis le 1er avril 2016, tous les marchés passés par l’ONF, en tant que personne morale de droit public, sont des marchés publics et ont la nature juridique de « contrats administratifs » relevant du droit public comme le prévoit l’article 3 de l’ordonnance précitée. Les conditions de passation des marchés forestiers passés par l’ONF sont devenues identiques à celles applicables aux marchés passés pour ou par les collectivités propriétaires de forêts.

En revanche, en qualité d’EPIC, l’ONF n’est pas obligés à toutes les règles d’exécution financière, comme le prévoient  le I de l’article 59 de l’ordonnance et l’article 109 du décret 2016-360 du 25 mars 2016. Par exemple, en tant qu’il considère qu’il est une entreprise publique au sens du II de l'article 1er de l'ordonnance n° 2004-503 du 7 juin 2004 (*), l’ONF applique un délai de paiement à 60 jours en vertu de l’article 1 du décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique. Les collectivités sont, elles, soumises au délai de paiement de 30 jours.

IV. Cas particulier des marchés passés par l’ONF pour des exploitations forestières groupées avec des communes

En vue de passer des ventes groupées de bois façonnés issus tant de forêts domaniales que de forêts communales, les achats de services d’exploitation forestière peuvent être regroupés. Les collectivités ne voulant ou ne pouvant pas financer les achats d’exploitation forestière avant de vendre leurs bois, l’ONF a été désigné légalement par le Code forestier (art. L. 214-7) pour être l’opérateur chargé de diligenter ces services.

On est ici dans un cas d’exclusion d’application de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics entre les collectivités et l’ONF, puisqu’en mandatant l’établissement public en lui confiant leurs bois à abattre et à vendre, celles-ci n’ont pas à faire de publicité ni de mise en concurrence pour faire appel à l'ONF légalement désigné. Le contrat reste un contrat administratif mais hors champ des règles de mise en concurrence. L’ONF passe ensuite des marchés publics de services d’exploitation forestière soumis à concurrence dont la plupart dépasse de très loin le seuil européen des procédures formalisées pour les services ; leurs montants pouvant atteindre plusieurs millions d’euros pour l’exploitation de plusieurs dizaines de milliers de mètres cube.

Sources :

  • Code forestier, art. L. 154-1 et L. 214-7
  • Code rural et de la pêche maritime, art. L. 722-3
  • D. no 2016-360 du 25 mars 2016, art. 109