Les possibilités procédurales suite à une infructuosité

Par François Fourmeaux

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Contrairement à l’ancien Code des marchés publics, l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ne font plus expressément référence à la notion de « déclaration d'infructuosité ». Plusieurs possibilités sont cependant offertes aux acheteurs lorsque le lancement d’une procédure n’aboutit à la remise d’aucune offre, ou d’aucune offre susceptible de répondre à leurs besoins.

Rappelons tout d’abord que l’infructuosité d’une procédure peut être définie comme « la constatation d’une absence d’offre ou d’une inadéquation entre la demande formulée par l’administration et l’offre des soumissionnaires » (voir la Fiche de la DAJ du Ministère de l’Économie relative à « La déclaration d’infructuosité », à propos de l’ancien Code des marchés publics, mais à laquelle il est encore possible de se référer sur plusieurs points). À cet égard, le juge prend soin de contrôler que l’infructuosité ne résulte pas, en réalité, d’une défaillance de la collectivité, que ce soit par une estimation irréaliste des données de la consultation (CE, 29 déc. 1997, Préfet de Seine-et-Marne / OPAC de Meaux) ou par des difficultés et erreurs d'analyse des offres provoquées par l'imprécision du règlement de consultation (CAA Bordeaux, 6 nov. 2008, Centre Hospitalier Saint-Nicolas-en-Blaye).

L’acheteur est donc invité à fonder correctement sa décision d’infructuosité ; à la suite de quoi, trois hypothèses, dont les conditions de mise en œuvre sont distinctes, peuvent être envisagées : relancer une procédure (I), recourir à la procédure concurrentielle avec négociation ou au dialogue compétitif (II), ou recourir à un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence (III).

I. Lancer une nouvelle procédure

En premier lieu, l’acheteur peut décider de relancer une nouvelle procédure, c’est-à-dire identique à celle qui s’est révélée infructueuse.

Cette possibilité, qui n’a probablement d’intérêt que si l’acheteur modifie quelque peu les conditions initiales du marché (à défaut de quoi il risque de se confronter de nouveau à une infructuosité), devient surtout une obligation si lesdites conditions initiales sont substantiellement modifiées (CE, 14 mars 1997, Préfet du Maine-et-Loire). En effet, les autres issues procédurales de l’infructuosité ne peuvent être mises en œuvre en cas de modifications substantielles des données du contrat (cf. infra).

À ce titre, le Ministère de l’Économie estime que « les modifications affectant le fractionnement en tranches, les clauses de variation des prix, les délais d’exécution, les pénalités de retard, les garanties de bonne exécution ou l’introduction d’une variante non-autorisée peuvent être considérées comme substantielles » (voir la fiche de la DAJ « La procédure concurrentielle avec négociation », point 1.6.3).

Mais, en l’absence de modifications substantielles, le choix de relancer une nouvelle procédure ou de recourir à l’une des procédures de substitution offertes selon les cas, se fait « en toute opportunité » (ibid., point 1.6).

II. La procédure concurrentielle avec négociation ou le dialogue compétitif

En deuxième lieu, il résulte de l’article 25-II-6° du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 que le pouvoir adjudicateur peut recourir à la procédure concurrentielle avec négociation ou au dialogue compétitif « lorsque, dans le cadre d'un appel d'offres, seules des offres irrégulières ou inacceptables » ont été présentées, et « pour autant que les conditions initiales du marché public ne soient pas substantiellement modifiées ».

Ce dispositif appelle plusieurs remarques.

Premièrement, il diffère quelque peu de l’ancien régime, lequel prévoyait le recours à la procédure négociée avec mise en concurrence en cas d’infructuosité d’un appel d’offres ou d’un dialogue compétitif. Dorénavant, est visée l’infructuosité des seuls appels d’offres, laquelle ouvre la voie, soit à une procédure concurrentielle avec négociation, soit à un dialogue compétitif.

Deuxièmement, l’on notera que ces dispositions ne visent pas le cas de l’infructuosité des marchés à procédure adaptée. Ceci s’explique notamment par le fait que, s’agissant à tout le moins des MAPA avec négociation, cette dernière permet précisément la régularisation des offres irrégulières et inacceptables (décret du 25 mars 2016, art. 59-III) et donc de remédier à l’infructuosité.

Troisièmement, en tant qu’il ne règle que le cas des infructuosités générées par la remise d’offres irrégulières ou inacceptables, le dispositif de l’article 25-II-6° répond à une logique spécifique : celle d’une infructuosité « relative », c’est-à-dire d’une situation dans laquelle la mise en concurrence initiale a tout de même permis de faire émerger des propositions de la part des candidats, et pour laquelle on peut raisonnablement espérer qu’une seconde procédure de mise en concurrence pourra finalement satisfaire de manière adéquate les besoins de l’acheteur.

Quatrièmement, les modalités de publicité de cette nouvelle procédure pourront dans certains cas être allégées. En effet, l’article 25-II dispose que « le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de publier un avis de marché s'il ne fait participer à la procédure que le ou les soumissionnaires qui ont présenté des offres conformes aux exigences relatives aux délais et modalités formelles de l'appel d'offres ». Le décret n° 2017-516 du 10 avril 2017 a cependant complété ce dispositif en précisant que, pour pouvoir être invités à participer à la procédure sans qu’il ne soit procédé à une nouvelle publicité, les candidatures doivent avoir été déclarées recevables. Cet ajout vient ainsi réintégrer le principe d’une analyse des candidatures préalablement à celle des offres, par dérogation au principe posé à l’article 55-II-2° du décret, selon lequel « l'acheteur ne peut exiger que du seul candidat auquel il est envisagé d'attribuer le marché public qu'il justifie ne pas être dans un cas d'interdiction de soumissionner ».

Cinquièmement, enfin, il convient de rappeler que, s’agissant des marchés pour lesquels un rapport de présentation est requis, celui-ci devra du coup comporter les motifs du recours à la procédure concurrentielle avec négociation ou au dialogue compétitif (article 105-II-1° du décret).

III. Le marché négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables

En troisième lieu, il résulte de l’article 30-1-2° du décret du 25 mars 2016 que l’acheteur peut – uniquement, là aussi, si les conditions initiales du marché ne sont pas substantiellement modifiées – passer un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsqu’aucune candidature ou aucune offre n'a été déposée dans les délais prescrits, ou que seules des candidatures irrecevables ou des offres inappropriées ont été présentées, et ce dans le cadre des procédures suivantes :

  • appel d'offres lancé par un pouvoir adjudicateur ;
  • procédure formalisée lancée par une entité adjudicatrice ;
  • passation d'un marché public répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure aux seuils de procédure formalisée ;
  • passation d'un marché public relevant des articles 28 et 29 (marchés publics de services juridiques, sociaux et autres services spécifiques).

Rappelons tout d’abord que le marché négocié sans publicité ni mise en concurrence ne relève pas de l’une des procédures formalisées visées à l’article 42 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, ce qui ne l’empêche naturellement pas d’être soumis aux grands principes de la commande publique. Par ailleurs, comme le précise le Ministère de l’Économie, rien n’interdit l’acheteur, lorsqu’il fait application de l’article 30-1-2°, « de se soumettre à des exigences plus contraignantes en termes de publicité », par exemple en décidant « d’envoyer le dossier de consultation à plusieurs sociétés » (voir la fiche de la DAJ « Les marchés publics négociés sans publicité ni mise en concurrence préalables », point 1.1.2).

On relèvera ensuite que le champ d’application matériel de ces dispositions ne se restreint pas à l’infructuosité des seuls appels d’offres mais s’étend aussi, entre autres, aux MAPA, ce qui constitue une nouveauté par rapport à l’article 35 de l’ancien Code.

Par ailleurs, à la différence de l’article 25, l’article 30 vise des cas d’infructuosité « sèche » (remise d’aucune offre ou candidature ; irrecevabilité de l’ensemble des candidatures ; remise d’offres inappropriées, c’est-à-dire « sans rapport avec le marché public parce [que] manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l'acheteur », cf. article 59 du décret). La logique est, du coup, distincte : dans la mesure où la procédure initiale de mise en concurrence n’a même pas permis d’isoler ne serait-ce qu’un candidat qui aurait été susceptible, de près ou de loin, de satisfaire les besoins de l’acheteur, la pertinence du lancement d’une nouvelle procédure de mise en concurrence, quelle qu’elle soit, s’en trouve contrariée. Dans cette situation, cependant, se pose de manière accrue la question de savoir si l’infructuosité ne procède pas d’un manquement de l’acheteur (mauvaise définition du besoin, modalités de mise en concurrence inadaptées, etc.), auquel cas celui-ci ne pourrait régulièrement recourir au marché négocié sans mise en concurrence. 

Précisons enfin que, le cas échéant :

  • un rapport peut être communiqué, à sa demande, à la Commission européenne lorsqu’il est fait usage de l’article 30-I-2°/ ;
  • le rapport de présentation de la procédure de passation doit comporter les motifs du recours au marché négocié sans publicité ni mise en concurrence (article 105-II-1°).

En définitive, pour chaque situation d’infructuosité, une issue procédurale spécifique est accordée aux acheteurs. Et si aucun délai ne leur est prescrit pour recourir à l’une ou l’autre des procédures de substitution, on ne pourra que leur recommander de faire leur choix dans un délai raisonnable pour remédier rapidement à une situation qui, parce qu’elle révèle souvent soit une lacune de l’acheteur soit une incompréhension des besoins par les candidats, n’est jamais satisfaisante.

Sources :