Les pénalités dans les marchés publics

Par François Fourmeaux

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Un récent arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon rappelle que l’application des pénalités de retard peut s’avérer très coûteuse pour l’entreprise, en dépit du pouvoir de modulation dont dispose désormais le juge. Cette décision est l’occasion de revenir sur le régime de ces sanctions pécuniaires, dont les clauses contractuelles doivent être rédigées avec précision.

I. Nature et finalité des pénalités

Parmi le large panel de pouvoirs de sanctions dont dispose l’administration face à son cocontractant, les pénalités sont sans nul doute les plus répandues et les plus appliquées dans la pratique. Destinées à frapper le titulaire du marché en cas de non-respect de certaines de ses obligations contractuelles, elles visent à sanctionner :

  • ou bien le non-respect de certains objectifs de performance ou de résultats. L’on peut penser, par exemple, à des seuils de débits ou de températures qui ne seraient pas atteints dans des prestations de chauffage ou de livraison d’eau ;
  • ou bien, comme c’est le cas le plus souvent, un retard dans l’exécution des prestations. L’on précisera à cet égard qu'un même contrat peut comporter plusieurs délais de réalisation et donc être assorti d’autant de pénalités différentes. Tel est le cas des délais partiels, qui peuvent être déterminés par tranches, parties d’ouvrages ou ensemble de prestations, à condition que les documents du marché le prévoient avec exactitude (CE, 23 févr. 2004, Région Réunion). En outre, les prestations sont en principe considérées comme achevées dès lors qu’elles sont intégralement exécutées dans les règles de l’art, de sorte que des pénalités peuvent être appliquées même à de simples finitions et indépendamment de ce que l’ouvrage, dans son ensemble, fonctionnerait (CAA Lyon, 6 déc. 2001, OPHLM de la Côte d’Or c/ SA Mouillot et Cie ; CAA Paris, 16 déc. 2004, Min. de la Défense).

Par ailleurs, il faut noter que les pénalités revêtent un caractère forfaitaire, ce qui emporte une double conséquence :

  • la première est que la pénalité est applicable – dès que le manquement est avéré – sans que son montant n’ait à correspondre ou à être corrélé avec le préjudice subi par l’administration ;
  • la seconde est que la collectivité ne peut exiger, pour une même faute, l’octroi de dommages et intérêts en sus des pénalités prévues au contrat (CE, 15 mai 1987, n° 41974, Hôpital rural de Breil-sur-Roya).

Enfin, rappelons que les pénalités n’étant la contrepartie d’aucune prestation, elles ne sont pas soumises à la TVA.

II. Procédure

La procédure d’application des pénalités ne répond pas à un formalisme très complexe, tant que les clauses contractuelles sont soigneusement écrites.

À titre liminaire, rappelons que la collectivité n’est pas tenue d’appliquer les pénalités prévues au contrat, et qu’elle peut décider d’y renoncer (CE, 17 mars 2010, n° 308676, Commune d’Issy-les-Moulineaux).

En revanche, contrairement à certains autres pouvoirs de sanctions, l’infliction de pénalités ne peut se faire sans clause contractuelle expresse – ne serait-ce que pour déterminer les montants et modalités de calcul de celles-ci.

La procédure sera ensuite d’autant plus simple à mettre en œuvre que les clauses qui y sont relatives auront été rédigées avec précision, en évitant toutes divergences possibles d’interprétations quant à la nature et l’identification des manquements et délais sanctionnés : à partir du moment où le manquement est constaté, les CCAG prévoient une application de plein droit des pénalités, sans mise en demeure préalable obligatoire.

En l’absence de renvoi au CCAG, il convient en revanche que le marché détermine clairement si la sanction infligée sera ou non précédée d’une mise en demeure ; dans l’affirmative, la collectivité ne pourra pas s’en affranchir.

Enfin, notons que, selon les termes particuliers du marché et/ou selon les CCAG, le décompte des pénalités peut intervenir soit au travers des états d’acompte mensuels, soit en fin de contrat lors de l’établissement du décompte général.

III. Pouvoir de modulation

Dernier aspect important du régime des pénalités, celui de la modulation de leurs montants.

L’on sait que, depuis la décision OPHLM de Puteaux du 29 décembre 2008, « il est loisible au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de modérer ou d'augmenter les pénalités de retard résultant du contrat, par application des principes dont s'inspire l'article 1152 du code civil, si ces pénalités atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché ».

Si la demande lui en est faite, le juge peut donc procéder à un nouveau calcul des pénalités, lorsque, à ses yeux, l’équité le commande. Et ceci ne peut qu’encourager un peu plus à soigner la rédaction des clauses de pénalités de telle manière que ces dernières, tout en étant suffisamment dissuasives et contraignantes, ne soient pas démesurées (ce qui, dans ce dernier cas, rejaillirait nécessairement sur les offres remises par les candidats).

Il n’en demeure pas moins qu’en dépit du pouvoir de modulation, les pénalités peuvent atteindre des montants importants et constituer une lourde charge financière pour le cocontractant. C’est ce qu’illustre l’arrêt du 22 juin dernier rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon. Dans cette affaire, le lot « charpente métallique » d’une opération de réhabilitation de halle municipale avait été confié à une société aux termes d’un marché dont le délai de réalisation était fixé à un an. La cour refuse de modérer le montant des pénalités de retard, qui s’élevaient à 48 % du prix du marché, dès lors qu’il n’apparaissait pas manifestement excessif « au regard des conditions dans lesquelles s'est déroulée l'exécution du marché », à savoir un retard de 6 mois dans l’exécution des prestations, retard qui avait été « constamment rappelé » au titulaire tout au long du chantier.

Le pouvoir de modulation du juge ne saurait donc s’analyser comme une « prime à la médiocrité » au bénéfice du cocontractant…

En conclusion, les clauses de pénalités appellent une attention particulière dans leurs rédactions, d’une part pour que la question de leur application (ou non) ne donne pas lieu à de multiples débats, d’autre part pour qu’elles remplissent efficacement leur rôle : celui d’une sanction dissuasive, et « réaliste », d’un manquement à une obligation contractuelle.

Sources :