Les marchés publics « Made in France »

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Brodequins de l’armée française fabriqués en Turquie, production de la carte Vitale délocalisée en Inde, centre d’appel du Syndicat des transports parisiens délocalisé au Maroc, autant de dossiers qui ont défrayé la chronique. Cet été, la presse titrait « Faut-il réformer le Code des marchés publics ? » ou « Et si l'administration commençait par acheter français ? ». Le slogan commercial « Nos emplettes sont nos emplois », dont la cible était le consommateur français, devient un objectif politique dont la cible est l’acheteur public. Mais le marché public « Made in France » est-il juridiquement possible au vu des règles communautaires ?
Pour répondre à cette interrogation, nous nous poserons la question de savoir ce qu'est le « Made in France » (I), puis nous passerons en revue les outils actuels du Code des marchés publics (II) qui permettent de favoriser le local sans pour autant faire de la préférence locale (III).

I. Qu’est ce que le « Made in France » ?

Existe-il un « Made in France » et que cela signifie-t-il vraiment ? Vaut-il mieux acheter une marque étrangère dont la fabrication est localisée en France, ou une marque française dont la production est délocalisée, comme c’est le cas entre Toyota et Renault ?Le « Made in France » est une notion dont le caractère flou est entretenu par l’Europe car celle-ci estime que cette information apposée systématiquement entraverait la libre circulation des marchandises. Aussi, contrairement aux États-Unis, à la Chine ou au Japon où cette mention est obligatoire, les entreprises sont seulement autorisées à indiquer « Made in France » ou « fabrication française », conformément à la définition qui en est donnée par l’article 24 du Code des douanes communautaires. Ce code fixe comme règle qu’il suffit que « la dernière transformation » ait eu lieu en France : « Une marchandise dans la production de laquelle sont intervenus deux ou plusieurs pays, est originaire du pays où a eu lieu la dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d’un produit nouveau ou représentant un stade de fabrication important ».On le voit, le « "Made in France" version droit européen » est insuffisant pour permettre un achat public à visée protectionniste, et pour cause, cette définition douanière du « Made in France » ayant pour but  l’exact opposé, celle du libre échange.C’est pourquoi, suite à un rapport de mai 2010 intitulé « En finir avec la mondialisation anonyme », à destination du président de la République, le député Yves Jégo a proposé un label plus exigeant, « Origine France garantie », lancé en 2011, confié à l’association Pro France et certifié par le Bureau Veritas. Ce label est obtenu si le produit tire ses caractéristiques essentielles de France et qu’au moins 50 % du prix de revient unitaire est acquis en France.

II. L’exigence sociale au secours du « Made in France »

Quand bien même la marque « France » trouverait son label, le droit français, comme le droit européen, interdit l’utilisation d’une marque dans le cadre d’un marché public ainsi que l’achat en fonction d’une origine géographique. L’article 6-IV du Code des marchés publics spécifie, à l’instar de la directive 2004/18,  que « les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’un mode ou procédé de fabrication particulier ou d’une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu’une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l’objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché n’est pas possible sans elle et à la condition qu’elle soit accompagnée des termes : "ou équivalent" ». Pourtant, si la marque  « Origine France garantie » ne peut être utilisée, ce n’est pas le cas d’un label social, ce qui permet de faire du protectionnisme de façon indirecte puisque la France et même l’Europe sont en concurrence avec des pays où les normes sociales et fiscales sont bien en deçà des standards européens.Plus exactement, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans son arrêt fondamental Commission européenne c/ Royaume des Pays-Bas rendu le 10 mai 2012, dans l’affaire C-368/10, a précisé que les autorités contractantes peuvent choisir un critère d’attribution fondé sur des considérations sociales ou environnementales si celles-ci sont une condition d’exécution du marché. L’utilisation d’un label social par le pouvoir adjudicateur doit donc s’inscrire dans la mécanique prévue par l’article 14 du Code des marchés publics, qui prévoit que « les conditions d'exécution d'un marché ou d'un accord-cadre peuvent comporter des éléments à caractère social ou environnemental qui prennent en compte les objectifs de développement durable en conciliant développement économique, protection et mise en valeur de l'environnement et progrès social. Ces conditions d'exécution ne peuvent pas avoir d'effet discriminatoire à l'égard des candidats potentiels. Elles sont indiquées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation ». Le label social permet au candidat d’apporter la preuve qu’il se conforme aux conditions d’exécution d’ordre social mais il peut le faire par tout moyen équivalent.Pour aller plus loin dans cet aspect de l’achat public, on pourra utilement se référer au guide sur les achats publics issus du commerce équitable, édité en juillet dernier par l’Observatoire économique de l’achat public, ainsi qu’à la notice d’information relative aux achats publics socio-responsables. Dernièrement, le ministre Benoît Hamon a annoncé, dans le cadre d’une loi prévue pour 2013, la création d’un label pour les entreprises de l’économie sociale et solidaires (ESS). L’avantage du label serait de faciliter l’accès à la commande publique d’entreprises qui produisent « français ». Le mouvement des entrepreneurs sociaux (MOUVES) considère en effet que l’entreprise « sociale » est un moyen efficace de produire « français ».En attendant ce label, l’aspect social de l’achat peut se limiter à l’obligation pour le titulaire de respecter les conventions de l’OIT. Les CCAG de 2009 en font une obligation contractuelle, cependant les modalités d’application sont renvoyées au cahier des clauses administratives particulières (CCAP). Or le commanditaire public est souvent dépourvu d’informations sur les conditions de fabrication et la traçabilité des produits qu’il achète. Aussi, les pouvoirs adjudicateurs ne prévoient rien en général dans leur CCAP. Les acheteurs publics pourraient s’inspirer des grandes multinationales du vêtement ou des chaussures qui utilisent l’audit social comme instrument de contrôle de leurs propres sous-traitants et fournisseurs afin de préserver leur image et de garantir aux  consommateurs que les produits ne sont pas fabriqués par des enfants et respectent un minimum les conventions internationales du travail.  Les acheteurs publics pourraient définir les modalités d’application du respect des conventions de l’OIT dans leur CCAP en prévoyant cet instrument de l’audit social.

III. Obligation d’implantation géographique et circuit court : le local sans discrimination

La préférence locale, comme la préférence nationale, sont contraires aux principes de libre concurrence et de non-discrimination. La CJCE par un arrêt du 3 juin 1992, C-360/89, Commission c/ République italienne censure comme discriminatoire le fait de réserver des marchés publics aux entreprises ayant leur siège social dans la région où ils doivent être exécutés.En revanche, l’obligation d'implantation géographique à proximité de l’acheteur public peut constituer une condition d'obtention du marché, si elle est justifiée par son objet ou ses conditions d'exécution (voir CE, 29 juillet 1994, Commune de Ventenac-en-Minervois et CE, 14 janvier 1998, Société Martin-Fourquin). Par ces arrêts, le Conseil d’État reconnait que le pouvoir adjudicateur peut imposer au titulaire de s’engager à créer une antenne locale en cas d’obtention du marché.En revanche, le Conseil d’État sanctionne le fait de conditionner l’obtention du marché à une implantation préalable de l’entreprise (voir CE, 14 janvier 1998, Société Martin-Fourquin), ou si l’implantation locale de  l’attributaire ne se justifie pas par l’objet du marché (voir CE, 29 juillet 1994, Commune de Ventenac-en-Minervois). En effet, l’obligation d’implantation d’un attributaire près du lieu de réalisation des prestations doit se justifier par l’objet du marché, comme par exemple dans le cas d’un marché de maintenance (voir à ce sujet la question parlementaire n° 4714 de Pierre Morel-A-Lhuissier sur les conditions justifiant l’obligation d’implantation géographique). Dans le même esprit, où le local peut être privilégié sans pour autant faire de la préférence locale, se situe le critère du circuit court. Le décret n° 2011-1000 du 25 août 2011 modifiant le Code des marchés publics a inclus à l’article 53 du code un nouveau critère de sélection des offres : « les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture » (art. 18 du décret). Le guide de bonnes pratiques de 2012 précise d’emblée que « le Code des marchés publics permet aux acheteurs publics de favoriser le développement des circuits courts de commercialisation dans le domaine des produits agricoles, à condition que cette prise en compte ne soit pas source de discrimination entre candidats et qu’elle soit de nature à satisfaire les besoins exprimés par l’acheteur public ». Le circuit y est ensuite défini comme « un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire ». Le guide insiste sur le fait que « l’acheteur prend en considération le circuit de fourniture et non l’implantation géographique du producteur. La localisation du producteur ne peut donc pas constituer un critère d’attribution du marché ». Néanmoins, les produits et fournisseurs locaux seront forcément avantagés par rapport aux fournisseurs et produits venus d’ailleurs.Sources :