Les marchés publics, entre secret et transparence

Par Laurent Chomard

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La transparence est un principe fondamental des marchés publics qui irrigue toute la matière. Pourtant les intérêts économiques français, en période de guerre économique, exigent la protection du secret des affaires. Le retrait de l’amendement Ferrand à la loi Macron, introduisant une définition très large du secret des affaires dans le Code de commerce, suite aux protestations de l’association Transparency International France qui s’inquiétait du sort des lanceurs d’alerte, illustre bien la double injonction contradictoire entre patriotisme économique et principe de transparence dont les marchés publics sont le terrain privilégié. Nous allons tout d’abord nous concentrer sur l’ampleur de cette exigence de transparence des marchés publics (I), puis sur la notion de secret des affaires qui s’y oppose (II). Nous aborderons enfin le statut  de lanceur d’alerte, statut qui peut intéresser les personnes en charge des marchés publics dans une collectivité s'agissant de leur réelle transparence (III).

I. Le principe de transparence

Le  principe de transparence est consacré par l’article 1, II, du Code des marchés publics. Il s’applique à tout les stades de passation d’un marché public, de l’avis d’appel public à la concurrence à l’avis d’attribution, de la sélection des candidatures à la sélection des offres, de la négociation des candidats jusqu’aux obligations d’informations prévues en fin de procédure.L’avis d’appel public à la concurrence est une obligation de transparence pour tout achat public au dessus d’un certain seuil. De même, dès lors que la personne publique a recours à la négociation, par exemple dans la procédure d’attribution du marché, elle doit en informer les candidats. Elle doit également les informer des conditions de la négociation. Participent aussi à cette obligation de transparence,  les obligations d’information des candidats à la fin d’une procédure de passation prévues par les articles 80 et 83 du Code des marchés publics.L’obligation de transparence ne bénéficie pas qu'aux candidats, elle oblige également les acheteurs publics vis-à-vis des citoyens. Ainsi, l’article 133 du code prévoit que soit publiée, chaque premier trimestre, la liste des marchés conclus l’année précédente et ce, quel que soit le support de publication (site internet, presse locale, etc.). Le détail de cette liste est fixé actuellement par l’arrêté du 21 juillet 2011. L’État va encore plus loin en procédant à une démarche d’Open data en matière de marchés publics sur son site data.gouv.fr, permettant ainsi un contrôle des dépenses publiques par les citoyens eux-mêmes.Plus efficace encore, en matière de transparence : l’obligation de transmission des documents afférant aux marchés publics, dans le cadre prévu par la loi no 78-753 du 17 juillet 1978, reconnaît à toute personne le droit d’obtenir communication des documents détenus par une administration dans le cadre de sa mission de service public, quels que soient leur forme ou leur support.

II. Le secret des affaires

Dans le cadre de la loi de 1978, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), autorité administrative indépendante et consultative chargée de veiller à la liberté d’accès aux documents administratifs, a défini le contour du secret des affaires comme limite à ce droit à la communication. Selon la CADA, la notion de secret industriel et commercial recouvre trois catégories de données. Le secret des procédés en premier lieu. Il s’agit des informations qui permettent de connaître les techniques de fabrication ou le contenu des activités de recherche-développement des entreprises, telles que la description d’un radio émetteur utilisé par une entreprise de téléphonie mobile ou encore les travaux de captage, la description des matériels utilisés ou encore les installations de conditionnement d’une entreprise exploitant l’eau de source. Le secret des informations économiques et financières ensuite, qui recouvre les informations qui ont trait à la situation économique d’une entreprise, à sa santé financière ou à l’état de son crédit comme par exemple :

  • le chiffre d’affaires et le bail d’une pharmacie ;
  • les informations financières sur des entreprises détenues par le service central des risques de la Banque de France ;
  • les informations sur les projets et les sinistres assurés par la Coface ;
  • les documents comptables d’une entreprise transmis à l’appui d’une demande d’ouverture le dimanche ;
  • les déclarations de quantité de lait produites ;
  • les effectifs bruts des candidats présentés par les auto-écoles, dans la mesure où elles révèlent le niveau d’activité de ces dernières.

Le secret des stratégies commerciales enfin, c'est-à-dire des informations sur les prix et les pratiques commerciales telles que :

  • l’état détaillé des lieux d’un magasin et la liste de ses fournisseurs, tels qu’ils ressortent des documents présentés à l’appui d’une demande devant la commission départementale d’équipement commercial ;
  • le projet de réservation Socrate de la SNCF, étant donné l’importance du projet pour la SNCF ;
  • le montant de la remise consentie par la Poste à certains clients.

III. Le statut du lanceur d’alerte

Le Conseil de l’Europe en 2014 définit le lanceur d’alerte comme « toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, qu’elle soit dans le secteur public ou dans le secteur privé. ». Le guide pratique à l’usage du lanceur d’alerte français édité par l’association Transparency International indique que « La législation française en matière de droit d’alerte est récente (2007-2013), segmentaire et lacunaire : cinq lois offrent ainsi en 2014 aux salariés des secteurs public et/ou privé des protections disparates, selon les domaines d’activité ». Deux, nous intéressent particulièrement, la loi no 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et la loi no 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.L’article 25 de la loi no 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique protège la personne qui relate de bonne foi à son employeur, à l'autorité chargée de la déontologie au sein de l'organisme, à une association de lutte contre la corruption agréée en application du II de l'article 20 de la présente loi ou de l'article 2-23 du Code de procédure pénale ou aux autorités judiciaires ou administratives de faits relatifs à une situation de conflit d'intérêts.Plus judicieux en matière de marchés publics, l’article 35 de la loi no 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière modifie la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires en insérant un article 6 ter selon lequel : « Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit. En cas de litige relatif à l'application des deux premiers alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le présent article est applicable aux agents non titulaires de droit public. »Alors que le droit pénal impose de longue date la dénonciation des crimes dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés (C. pen., art. 434-1) et que les fonctionnaires sont dans l'obligation d'aviser le procureur de la République de tout crime ou délit dont il a acquis la connaissance dans l'exercice de ses fonctions (CPP, art. 40), ces dispositions accordent aux lanceurs d'alerte une protection statutaire.Sources :