Les marchés à procédure adaptée sans mise en concurrence au-dessus de 15 000 €*

Par Laurent Chomard

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L’article 28 du Code des marchés publics concentre toutes les règles écrites concernant les marchés à procédure adaptée, procédure de passation prépondérante aujourd’hui dans l’achat public des collectivités. Pour autant, les pouvoirs adjudicateurs s’attardent principalement sur le paragraphe I de cet article, qui dessine le contour de la procédure adaptée, et le paragraphe III, qui décrit l’achat direct en dessous de 15 000 €*. Le paragraphe II de cet article 28, qui pose les procédures adaptées sans mise en concurrence au dessus de 15 000 €*, est ignoré voire méconnu, et ce d’autant plus que son emploi semble incertain.

Après avoir présenté le contour du MAPA sans mise en concurrence au-dessus de 15 000 €, posé par le paragraphe II de l’article 28 du code (I), nous étudierons la première possibilité visée par ce paragraphe par renvoi à l’article 35 (II), puis la seconde, plus générale dans sa formulation mais moins utilisée : le MAPA en raison de formalités impossibles ou manifestement inutiles (III).

I. L’apport de l’arrêt Pérez aux circonstances justifiant l’achat direct

C’est le décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011 qui introduit le paragraphe II, ainsi rédigé : « Le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les situations décrites au II de l'article 35 ou lorsque ces formalités sont impossibles ou manifestement inutiles en raison notamment de l'objet du marché, de son montant ou du faible degré de concurrence dans le secteur considéré. »La nouveauté réside alors dans le remplacement de la formulation suivante, « le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables si les circonstances le justifient », par l’expression « lorsque ces formalités sont impossibles ou manifestement inutiles en raison notamment de l'objet du marché, de son montant ou du faible degré de concurrence dans le secteur considéré. »Formulation mot à mot posée par le Conseil d’État dans sa décision Pérez : « [...] que ces principes [les principes fondamentaux de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence] ne font pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire puisse permettre au pouvoir adjudicateur de décider que le marché sera passé sans publicité, voire sans mise en concurrence, dans les seuls cas où il apparaît que de telles formalités sont impossibles ou manifestement inutiles notamment en raison de l'objet du marché, de son montant ou du degré de concurrence dans le secteur considéré [...] ».

II. Les situations décrites au II de l’article 35 du CMP

Attardons-nous d’abord sur la première possibilité de MAPA sans mise en concurrence au-dessus de 15 000 €, offerte par le paragraphe II de l’article 28 du CMP : « Le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les situations décrites au II de l'article 35 ». Le renvoi aux situations décrites au II de l’article 35 vise les cas de négociés sans mise en concurrence listés à l’article 35 du CMP, dans le cadre d’achats au-dessus des seuils formalisés, mais qui, dans le cadre de situations particulières, permettent l’absence de mise en concurrence comme l’achat de fournitures auprès d’un fournisseur en faillite.Il est logique que le code permette au pouvoir adjudicateur d’acheter directement en dessous des seuils formalisés, dans une des situations pour laquelle il autorise le pouvoir adjudicateur à se dispenser de mise en concurrence au-dessus des seuils formalisés.À noter que parmi les dix cas listés par l’article 35 du code, deux cas concernent les marchés complémentaires et un cas les marchés pour prestations similaires, ce qui nécessite un marché initial.Toutefois, pour que la procédure reste un MAPA, elle ne doit pas viser l’article 35 mais l’article 28-II en raison d’une situation décrite à l’article 35 du code. En effet, l’article 28 du code prévient que « s'il se réfère expressément à l'une de ces procédures formalisées, le pouvoir adjudicateur est tenu de l'appliquer dans son intégralité ». Or, procéduralement, dans le cadre d’un négocié sans mise en concurrence, c’est la commission d’appel d’offres qui attribue le marché alors que dans le cadre du MAPA, c’est le pouvoir adjudicateur.

III. Le MAPA sans mise en concurrence en raison de formalités impossibles ou manifestement inutiles

Pour pouvoir acheter sans mise en concurrence en deçà des seuils de procédures formalisées mais au-delà de 15 000 €, le pouvoir adjudicateur devra être en mesure de justifier que la mise en concurrence est inutile ou impossible. Cette démonstration d’impossibilité ou d’inutilité, ces deux termes ne désignant pas exactement la même chose, peut s’appuyer en particulier sur l’objet du marché, son montant ou l’absence de concurrence.Ces trois éléments d’appréciation de l’impossibilité d’une mise en concurrence ou de son caractère inutile ne sont pas à analyser de manière séparée car ils ne peuvent se comprendre que mis ensemble. Leur juxtaposition a pour objet de souligner que le pouvoir adjudicateur doit apprécier l’état de la mise en concurrence de façon concrète en se fondant sur la réalité du secteur commercial concerné, en fonction de l’objet et du montant de l’achat envisagé. Selon l’achat visé, le pouvoir adjudicateur doit être en capacité d’exposer les éléments de faits qui permettent d’avancer que la mise en concurrence est impossible, car objectivement elle ne peut avoir lieu, ou qu’elle est inutile, car fortement improbable. C’est par exemple le cas pour les opérations de forage géothermique où seul un opérateur économique est présent sur le marché français. En effet, nul autre opérateur ne se manifeste, car il est très risqué d'investir dans des machines hors de prix dans la seule éventualité d’un résultat positif à un appel d’offres.C’est un autre domaine d’achat qui a donné l’occasion au Conseil d’État d’illustrer le MAPA sans mise en concurrence, en raison de formalités manifestement inutiles : par sa décision du 28 janvier 2013, Département du Rhône, la haute juridiction a reconnu que l’achat de places de football justifiait l’acquisition directe en raison de l’objet même de l’achat. En l’espèce, le département du Rhône avait acheté sous forme de MAPA sans mise en concurrence des places permettant à des collégiens et des jeunes en difficulté d’assister gratuitement à des matchs du club de football de l‘Olympique lyonnais. Le Conseil d’État a jugé que « s’agissant toutefois de prestations ayant nécessairement un caractère unique, une mise en concurrence pour l’achat spécifique de ces billets, dont seul le club de football Olympique lyonnais est le distributeur, s’avérait impossible au sens des dispositions précitées de l’article 28 du Code des marchés publics ».Cependant, bien d’autres cas de figure sont possibles. En effet, dès que le pouvoir adjudicateur constate que dans un secteur d’achat, la mise en concurrence est concrètement inexistante, il pourra, pour ces consultations ultérieures, se fonder sur l’absence de concurrence avérée pour justifier d’un MAPA sans mise en concurrence, en vertu de l’article 28 II du CMP.   * [Article publié le 17 avril 2014] Sources :