Les évolutions du contentieux des marchés publics

Par Laurent Chomard

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Le rapport de l’OCDE intitulé « Le contrôle des marchés publics et les dispositifs de recours au sein de l'Union européenne » et publié le 6 avril 2007 nous apprend qu’en France en 2004, 62,6 % des recours ont été partiellement ou totalement favorables au requérant. Le praticien des marchés publics doit rester extrêmement vigilant en la matière, d’autant plus que le contentieux des marchés publics est devenu une discipline à part entière, une matière de spécialistes tant les procédures sont nombreuses et complexes et ont subi de profondes mutations ces dernières années.

I. La révolution de principe de l’arrêt « Société Tropic Travaux Signalisation »

Avec l’arrêt « Société Tropic Travaux Signalisation » rendu le 16 juillet 2007, c’est l’effet relatif des contrats qui vole en éclats. Par cette décision, le Conseil d’État a mis fin à l’hypocrisie consistant pour un tiers, comme un candidat malheureux ou un contribuable local, à demander par la voie de l’excès de pouvoir l’annulation de l’acte détachable (*) soutenant le marché public, par exemple la décision de conclure le contrat (CJA, art. R. 421-1 et s.).Désormais, avec cette jurisprudence « Tropic Travaux », les tiers peuvent contester la validité d’un marché public ou de certaines de ses clauses dans le cadre d’un recours de pleine juridiction. À noter que ce nouveau recours n’est pas ouvert à tous les tiers mais seulement aux « concurrents évincés », ce qui exclut les opérateurs économiques qui ne se sont pas portés candidats.Toutefois, cette révolution est plus d’ordre théorique que pratique dans la mesure où la lenteur des juridictions ne rend pas l’emploi de ce recours très efficace pour le requérant qui va lui préférer le référé précontractuel.* L’acte détachable est un acte administratif faisant grief et ayant un lien direct avec le contrat.

II. Le triomphe du bon sens avec « SMIRGEOMES »

Avant la signature d’un marché, tout candidat ou éventuel candidat peut recourir au référé précontractuel depuis les lois n° 92-10 du 4 janvier 1992 et n° 93-1416 du 29 décembre 1993 transposant les fameuses directives européennes dites « Recours » (Dir. 89/655 CEE du 21 décembre 1989). Ce recours d’origine communautaire permet de sanctionner toute violation aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Il a été pendant longtemps le terrain de jeu favori des avocats pour demander l’annulation d’une procédure de marché public. En effet, la moindre irrégularité procédurale, même formelle et sans conséquence réelle pour le candidat évincé, entraînait l’annulation de la procédure (CE, 8 avril 2005, Société Radiometer, n° 270476). Mention AMP, estimation du marché, nomenclature CPV, Code NUTS ou rubrique « financement du marché » ont été autant d’angles d’attaques efficaces contre une publicité.Mais depuis la décision « SMIRGEOMES » rendue par le Conseil d'État le 3 octobre 2008, le contentieux précontractuel a renoué avec le bon sens. L’irrégularité invoquée doit désormais être susceptible d'avoir lésé ou de risquer de léser un candidat, fût-ce de façon indirecte en avantageant un concurrent. La conséquence directe de cette nouvelle règle est que l’élaboration de la publicité n’est plus un exercice périlleux même si elle doit toujours être établie avec soin. Le requérant doit aujourd’hui invoquer un réel préjudice afin de pouvoir faire annuler une procédure. Il ne peut plus seulement invoquer, par exemple, l’absence de mention sur l’accord des marchés publics (mention AMP) dans la publicité dans la mesure où cette mention n’intéresse que les opérateurs étrangers. Désormais, pour faire annuler une procédure, les avocats ont donc tendance à se concentrer sur l’imprécision des critères, l’absence d’allotissement ou la mauvaise définition des besoins.

III. Le dernier-né des recours : le référé contractuel

Le dernier-né des recours en matière de marché public est le référé contractuel issu de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique et du décret n° 2009-1456 du 27 novembre 2009 transposant la directive 2007/66/CE modifiant les directives dites « Recours ». Il est régi par les articles L. 551-13 du Code de justice administrative.Utilisable depuis le 1er décembre 2009, ce recours est le pendant du référé précontractuel après la signature du marché. Son objet est de sanctionner les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence.Cependant, en ce qui concerne les marchés à procédure adaptée (MAPA), le pouvoir adjudicateur peut empêcher l’utilisation de cette voie de recours s’il publie un avis d’intention de conclure au JOUE (CMP, art 40.1) et respecte un délai de suspension de 11 jours entre la date de publication de l’avis d’intention de conclure et la date de conclusion du marché (CMP, art. 80). De même, toujours à propos des MAPA, à défaut d’empêcher l’exercice du référé contractuel, le pouvoir adjudicateur peut réduire le délai de saisine du juge de 6 mois à 31 jours en publiant un avis d’attribution au JOUE.

IV. L’exigence de loyauté dans les relations contractuelles : l’arrêt « Commune de Béziers »

Par la décision « Commune de Béziers » en date du 28 décembre 2009, le Conseil d’État a revisité les fondements de la contestation de la validité du contrat par les parties et posé comme principe incontournable « l’exigence de loyauté dans les relations contractuelles » et l’objectif de « stabilité des relations contractuelles ». Ainsi, le juge ne constate la nullité du contrat que si son contenu est illicite ou si le consentement des parties est affecté d’un vice d’une particulière gravité. C’est pourquoi une partie ne peut plus invoquer son propre fait pour demander l’annulation d’un marché à son avantage. Cet arrêt rejoint la tendance amorcée par la jurisprudence « SMIRGEOMES » en matière précontractuelle où l’exigence d’un réel préjudice affectant le requérant correspond à une exigence de loyauté dans les moyens invoqués. Sources :