Le futur Code de la commande publique : entre révolution et réforme (seconde partie) !

Par Laurent Chomard

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Cette analyse commencée sur la base de la dernière version du projet d'ordonnance se poursuit avec base de l'ordonnance définitive du 23 juillet 2015, publiée le vendredi 24 juillet au Journal officiel.
Comme indiqué dans le communiqué du Gouvernement sur « la réforme de la commande publique », en date du 22 juillet dernier, lors de la présentation du projet d’ordonnance en Conseil des ministres, la refonte engagée « aboutira d’ici le début de 2016 à la réécriture complète du droit de la commande publique. »  Cette réécriture n’est pas faite en droit constant. Elle a pour objet de transposer les directives du 26 février 2014 relatives aux marchés publics dites « secteurs classiques » et « secteurs spéciaux ». Certaines nouveautés vont bouleverser les pratiques professionnelles des acheteurs publics. Ce sont ces points, de nature révolutionnaire, que nous aborderons dans cette seconde partie : tout d’abord, ceux résultant de la transposition de la directive 2014/24, puis ceux propres à l’ordonnance.

I. Une révolution des pratiques issue de la transposition de la directive

Premier point, potentiellement lourd de conséquences, est l’introduction du « forum shopping » en matière de marchés publics. En effet, l’article 26 sur les centrales d’achat prévoit en son IV que « les acheteurs peuvent recourir à une centrale d’achat située dans un autre État membre de l’Union européenne. Dans ce cas, la loi applicable au marché public est la loi de l’État membre dans lequel est située la centrale d’achat. Toutefois, cette faculté ne peut être mise en œuvre dans le but de se soustraire à l’application de dispositions nationales qui intéressent l’ordre public ».Il n’en demeure pas moins que les acheteurs publics pourront choisir de passer leurs commandes auprès d’une centrale d’achat en fonction de l’environnement juridique applicable, sous réserves des dispositions françaises d’ordre public. Indirectement, c’est une mise en concurrence de son propre système juridique qui se trouve initié par le législateur français. Néanmoins, cela n’est que la transposition en droit français des prescriptions de la directive 2014/24, qui en son article 39, dispose qu’« un État membre n’interdit pas à ses pouvoirs adjudicateurs de recourir à des activités d’achat centralisées proposées par des centrales d’achat situées dans un autre État membre ».Le contenu de l’article 32 de l’ordonnance sur l’allotissement est une véritable révolution des procédures de mise en concurrence en France. Il indique que « les offres sont appréciées lot par lot sauf lorsque l’acheteur a autorisé les opérateurs économiques à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus ». Il s'agit d'une potentialité offerte par la directive européenne et non la transcription d’une obligation. L’article 46.3 de la directive dispose que « les États membres peuvent prévoir que, lorsque plusieurs lots peuvent être attribués au même soumissionnaire, les pouvoirs adjudicateurs peuvent attribuer des marchés réunissant plusieurs lots ou tous les lots, s’ils ont précisé dans l’avis de marché qu’ils se réservent la possibilité de le faire et indiquent les lots ou groupes de lots qui peuvent être réunis ». De façon assez surprenante, cette nouveauté qui n’en est pas une, nous y reviendrons, est voulue par Bruxelles au nom de l’intérêt des petites et moyennes entreprises (PME). Dans son considérant 79, la directive indique que : « Toutefois, la poursuite de l’objectif consistant à renforcer l’accès des PME aux procédures de passation de marchés publics pourrait être entravée si les pouvoirs adjudicateurs étaient tenus d’attribuer le marché lot par lot même lorsque cela impliquerait de devoir accepter des solutions nettement moins avantageuses par rapport à une attribution regroupant plusieurs lots ou la totalité de ceux-ci. »    Pourtant, c’est le code de 2001 qui avait interdit cela au nom d’« une plus grande diversité des offres et à d’une plus grande concurrence » selon son instruction d’application... donc pour améliorer l'ouverture des marchés aux PME.Autre nouveauté de taille : la possibilité qu’a l’acheteur de prévoir des interdictions de soumissionner dites « facultatives » décrites à l’article 48 de l'ordonnance, correspondant aux dispositions de l’article 57 de la directive 2014/24. Ainsi peuvent être exclu les opérateurs économiques n’ayant pas donné satisfaction sur des marchés antérieurs (résiliation pour faute ou mesure équivalente), dispositif qui rencontrera à n’en pas douter un grand succès auprès des acheteurs publics, mais aussi les opérateurs économiques ayant entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel du pouvoir adjudicateur ou d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui donner un avantage indu, les opérateurs économiques soupçonner d’ententes, les opérateurs économiques ayant participé à la préparation de la consultation ou en situation de conflit d’intérêts dans la mesure où il ne peut être remédier à la situation par d’autres moyens. L’exclusion prononcé par l’acheteur doit respecter le principe du contradictoire et permettre à l’entreprise de se défendre. Cependant, si ces mesures vont faciliter le travail des acheteurs, elles ne sont pas à l’abri de la subjectivité et donc potentiellement propices au contentieux.

II. Une révolution des pratiques propre à l’ordonnance

Une nouveauté au regard de la sous-traitance, propre à l’ordonnance et non issue de la directive, sera grandement appréciée des acheteurs. Il s'agit de la possibilité qu’offre l’ordonnance en son article 62 portant sur la sous-traitance « [d’] exiger  que certaines tâches essentielles [du marché] soient effectuées directement par le titulaire » et non par le sous-traitant, complétant ainsi utilement la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance.  En revanche, plus problématique et abscons est l’article 63 de l’ordonnance sur la sous-traitance en matière de marchés publics de défense et de sécurité qui, sans changer le fond du droit, parle de sous-contrat en lieu et place de sous-traitance, tout en indiquant par ailleurs que « au sens du présent article, un sous-contractant est un sous-traitant au sens de la loi du 31 décembre 1975 ». On ne saurait mieux introduire de la confusion dans les concepts.Enfin, l’article 56 de l'ordonnance sur la « transparence » ne manquera pas de soulever des questions d'ordre pratique. Celui-ci prévoit en effet que « dans des conditions fixées par voie réglementaire, les acheteurs rendent public le choix de l’offre retenue et rendent accessibles sous un format ouvert et librement réutilisable, les données essentielles du marché public sous réserves des dispositions de l’article 42 (c'est-à-dire les informations confidentielles comme le secret industriel et commercial). Cette mesure vise à améliorer l’open data dans les marchés publics et n’est en rien la transposition d’une obligation posée par la directive.Sources :