La résolution amiable des conflits nés de l’exécution du marché

Publié le

« Un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès ». Ce proverbe populaire, issu des Illusions perdues de Balzac (Pléiade, t. IV, p. 1054), repose sur le constat que le procès détruit la tranquillité et avive les passions, coûte cher sans donner la certitude de gagner. La résolution à l’amiable d’un litige, qui permet d’éviter un contentieux inutile et coûteux, est, depuis le rapport du Conseil d’État du 4 février 1993 Régler autrement les conflits, fortement encouragée par les pouvoirs publics. Mais comment peut se concrétiser ce règlement à l’amiable d’un conflit né lors de l’exécution d’un marché public ? Afin de répondre à cette question, nous aborderons successivement les différents recours amiables susceptibles d’être mis en œuvre dans le cadre d’un marché public.

I. Le recours administratif préalable institué par les CCAG

Tous les cahiers des clauses administratives générales (CCAG) stipulent que « le pouvoir adjudicateur et le titulaire s’efforceront de régler à l’amiable tout différend éventuel relatif à l’interprétation des stipulations du marché ou à l’exécution des prestations objet du marché » (CCAG-PI, art. 37 ; CCAG-FCS, art. 37 ; CCAG-TIC, art. 47 ; CCAG-Travaux, art. 50.1 et 50.2). À cette fin, les CCAG instituent une procédure de saisine du pouvoir adjudicateur par le biais d’un mémoire de réclamation (une lettre de réclamation pour le CCAG-TIC ou le CCAG-PI). Le titulaire doit l’envoyer dans les deux mois à compter de la naissance du différend et le pouvoir adjudicateur doit répondre dans les deux mois de la réception du mémoire, faute de quoi son silence vaut rejet de la réclamation. Cette procédure n’est pas la mise en œuvre du principe de déclaration préalable puisqu'un différend résultant d’une décision préalable défavorable est à l’origine de l’envoi du mémoire. Ce recours amiable, sauf dérogation faite au CCAG dans le cahier des charges, est néanmoins le préalable à une décision unilatérale donnant satisfaction au titulaire ou à une transaction de la part du pouvoir adjudicateur, mais aussi à la saisine d’un conciliateur ou à un recours contentieux. Identique pour tous les CCAG, le dispositif de recours amiable décrit dans le CCAG-Travaux en diffère sensiblement par l’intervention du maître d’œuvre et l'existence d'un délai de 45 jours tant pour la présentation du mémoire par le titulaire que pour la notification de sa décision par le pouvoir adjudicateur.

II. Le recours aux comités consultatifs de règlement amiable

Visés par les CCAG et l’article 127 du Code des marchés publics, les comités consultatifs de règlement amiable (CCRA) des différends ou des litiges relatifs aux marchés publics permettent tant au titulaire du marché qu’au pouvoir adjudicateur de saisir un conciliateur institutionnel, conformément aux dispositions du décret n° 2010-1525 du 8 décembre 2010. Celui-ci rend un avis dans les six mois suivant sa saisine. Si les parties se conforment à celui-ci, elles devront établir une transaction. Il existe un comité national chargé des litiges relatifs aux marchés des services centraux de l’État ou pour ceux excédant le ressort des comités locaux. Les comités locaux que doivent saisir les collectivités locales sont au nombre de sept : Paris, Versailles, Nantes, Bordeaux, Lyon, Nancy et Marseille. Le recours à cette conciliation, disposition facultative des CCAG, peut être rendu obligatoire par l’introduction d’une clause dans le marché. Le recours au CCRA interrompt le cours des différentes prescriptions et suspend les délais de recours contentieux, comme l’indique l’article 127 du CMP.

III. Le recours au médiateur-expert

Le marché peut aussi prévoir au cahier des clauses administratives particulières une clause de  conciliation visant un médiateur qui, lui-même, pourra recourir à l’avis d’un expert ou même une clause visant un médiateur expert vis-à-vis des prestations objet du marché. Comme l’indique le Guide des bonnes pratiques (circ. du 14 février 2012, point 22.2.2) : « Les parties peuvent convenir de recourir à un tiers conciliateur. La conciliation est organisée librement. Elle peut être confiée à un magistrat administratif (CJA, art. L. 211-4). Elle peut s’achever par une transaction ». La conciliation consiste à demander à un tiers une aide, un avis pour trouver une solution à un conflit. « Aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obstacle à l’insertion dans les contrats que passe l’administration d’une clause prévoyant que les difficultés auxquelles donnent lieu ces contrats devront être soumises, préalablement à la saisine du juge compétent, à l’avis d’une personne ou d’un organisme qu’il désigne », précise le Conseil d'État dans un arrêt du 27 juillet 1984, Société Otit (RDP, 1985, p. 247). Ce dispositif peut être intéressant si la collectivité souhaite faire appel à un expert reconnu dans un domaine très particulier. La conciliation obtenue sur la base de la proposition de conciliation donnera lieu à l’établissement d’un procès-verbal ayant valeur contractuelle. S'il est de nature transactionnelle, ce procès-verbal peut faire l'objet d'une homologation devant le juge.

IV. Le règlement amiable du conflit par transaction

Que ce soit via un recours administratif préalable, un avis d’un comité consultatif de règlement amiable ou le recours à un médiateur-expert, la résolution amiable du conflit se concrétise principalement par une transaction. La circulaire du 6 avril 2011 détaille les règles à respecter concernant la transaction et rappelle qu'il s'agit d' « un contrat écrit, permettant de terminer une contestation née ou de prévenir une contestation à naître » (C. civ., art. 2044). Selon cette même circulaire, « la faculté de transiger a été reconnue à l’État par le juge administratif (CE, 23 décembre 1887, De Dreux- Brézé, évêque de Moulins, Rec. p. 842) ». De même, « les collectivités territoriales et les établissements publics locaux peuvent transiger librement depuis la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions (CE, 21 janvier 1997, avis n° 359996, EDCE, 1998, p. 184) ». Ainsi, l’article L. 2122-21, al. 7 du Code général des collectivités territoriales permet au maire de transiger avec l’autorisation préalable de l’organe délibérant. La transaction, pour être valide, doit comporter des concessions réciproques et résulter d’un différend né ou à naître. Elle n’a d’effet, comme tout contrat, qu’entre les parties. Toutefois, par le jeu de l’homologation, elle peut se voir validée par un juge et avoir les mêmes effets qu'une décision de justice (opposabilité aux tiers). Ainsi, la transaction en elle-même vaut titre exécutoire, mais l’homologation peut renforcer son opposabilité face à des difficultés d’exécution.

V. Le règlement amiable du conflit par le recours à un arbitre

L’arbitrage consiste à soumettre à un tiers le différend qui oppose deux parties. Ce tiers est une personne privée, arbitre occasionnel. Recourir à l’arbitrage, c’est renoncer à la justice étatique au profit d’un « juge privé ». Les parties peuvent convenir, dès la conclusion du contrat, de soumettre leurs éventuels litiges à un arbitrage. Cet accord s’appelle une clause compromissoire (CPC, art. 1442). En droit public, l’arbitrage est en principe interdit. En effet, le recours à l’arbitrage contredit la compétence juridictionnelle établie par la loi. Cependant, par la loi du 17 avril 1906, des dérogations à ce principe sont autorisées afin de désengorger les tribunaux (CMP, art. 128). Comme l’indique cet article du code, en ce qui concerne les personnes publiques, l’arbitrage est autorisé pour les litiges touchant à la liquidation des dépenses de travaux et de fournitures de l’État ainsi que des collectivités locales et de leurs établissements publics. Les établissements publics de l’État ne peuvent recourir à l’arbitrage. Enfin, conformément à l’article 1484 du Code de procédure civile, « la sentence arbitrale a, dès qu'elle est rendue, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'elle tranche ». Sources :