La régularisation des offres

Par Laurent Chomard

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Plutôt rigide sous l’empire de l’ancien Code des marchés publics, le régime de régularisation des offres s’est quelque peu assoupli avec l’entrée en vigueur du décret no 2016-360 du 25 mars 2016. Bien sûr accompagnée de garde-fous, la possibilité de régulariser des offres répond désormais à un meilleur équilibre entre, d’une part, respect du principe d’intangibilité des offres, et d’autre part, pragmatisme dans le traitement d’irrégularités plutôt vénielles.

Pour mémoire, l’état du droit pouvait, avant la réforme, se synthétiser ainsi :
– d’une part, pour les procédures d’appel d’offres, le pouvoir adjudicateur était « tenu d’écarter sans l’examiner ni la classer l’offre qui est irrégulière, inappropriée ou inacceptable », sans possibilité d’inviter le candidat à la régulariser (CE, 24 févr. 2016, no 394945, Syndicat mixte pour l’étude et le traitement des ordures ménagères de l’Eure). Seule était admise la rectification d’erreurs purement matérielles (CE, 21 sept. 2001, no 349149, Département des Hauts-de-Seine) ;
– d’autre part, dans le cadre des procédures adaptées, le pouvoir adjudicateur était libre d’engager une négociation avec les candidats ayant remis une offre irrégulière, inappropriée ou inacceptable, à la condition de rejeter, in fine, les offres qui seraient demeurées irrégulières, inappropriées ou inacceptables à l’issue de la négociation (CE, 30 nov. 2011, no 353121, Ministre de la Défense). Quant à la procédure négociée, seules les offres inappropriées devaient être éliminées d’emblée, de sorte que les offres inacceptables ou irrégulières étaient susceptibles d’être négociées, et donc régularisées (Code des marchés publics, art. 66-V).
 
Le décret du 25 mars 2016 vient renouveler ce régime. À l’évidence, et comme le rappelle la DAJ de Bercy, « le principe demeure, […] celui de l’intangibilité des offres ». Mais les possibilités de régularisation ont été ouvertes (I) et encadrées par des modalités respectueuses des principes de la commande publique (II).

I. Un champ d’application élargi de la régularisation des offres

Comme auparavant, c’est l’éligibilité ou non des procédures à la négociation qui constitue la ligne de démarcation entre deux régimes possibles de régularisation. 1) Procédures sans négociation Pour les procédures d’appel d’offres et les procédures adaptées sans négociation, « les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. Toutefois, l’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses » (D. no 2016-360, art. 59-II). Il s’agit donc d’une nouveauté réelle par rapport à l’ancien régime, les offres irrégulières pouvant désormais être susceptibles de régularisation dans le cadre de procédures pourtant non éligibles à la négociation. L’on rappellera qu’une offre irrégulière est celle « qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale » (art. 59-I). L’innovation est d’ailleurs d’autant plus importante que la notion d’offre irrégulière se voit quelque peu élargie, puisqu’elle capte une partie des offres autrefois qualifiées d’inacceptables, à savoir celles méconnaissant certaines législations. 2) Procédures avec négociation Pour les procédures comprenant de la négociation, le décret va encore plus loin, puisque la possibilité de négociation n’est pas réservée aux seules offres irrégulières. Ainsi, l’article 59-III dispose que pour les « autres procédures », « les offres inappropriées sont éliminées. Les offres irrégulières ou inacceptables peuvent devenir régulières ou acceptables à l’issue de la négociation ou du dialogue, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses […] ». Les procédures adaptées avec négociation, le dialogue compétitif, la procédure concurrentielle avec négociation autorisent donc la régularisation des offres irrégulières et des offres inacceptables (offres « dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché public tels qu’ils ont été déterminés et établis avant le lancement de la procédure », art. 59-I), étant précisé que les offres inacceptables ne sont pas régularisables après que la négociation ait pris fin, contrairement aux offres irrégulières (art. 59-III, al 2). L’on notera cependant que, pour les procédures adaptées avec négociation, ce dispositif constitue un léger rétrécissement du champ d’application de la régularisation, qui autrefois était également possible pour les offres inappropriées (CE, 30 nov. 2011, no 353121, Ministre de la Défense). 3) Précision sur les offres anormalement basses Il convient par ailleurs d’apporter une précision s’agissant des offres anormalement basse. En effet, celles-ci sont exclues du dispositif de l’article 59, de sorte qu’elles ne sont pas régularisables (ce qui n’exclut pas l’obligation pour le pouvoir adjudicateur d’exiger au préalable du candidat qu’il justifie ses coûts, voir article 60 du décret). Mais il peut arriver que le bas prix d’une offre ne résulte pas tant de son caractère anormal que d’une… irrégularité. Dans un tel cas, le ministère de l’Économie estime que « l’acheteur peut autoriser la régularisation de l’offre dans le respect des dispositions de l’article 59 du décret. Ainsi, une offre pourra faire l’objet d’une régularisation si son faible prix résulte, par exemple, du fait que le bordereau des prix unitaires est incomplet ou mal renseigné. En revanche, si le soumissionnaire ne peut justifier le faible prix de son offre par une simple erreur matérielle et que l’acheteur estime ainsi qu’il s’agit d’une offre anormalement basse, alors celle-ci ne pourra pas faire l’objet d’une régularisation » (réponse publiée le 16 juin 2016 à la question écrite no 21409).

II. Modalités de la régularisation

Une fois établi le périmètre de la régularisation des offres, plusieurs précisions s’imposent quant à ses modalités. De première part, « la régularisation n’est qu’une simple faculté offerte à l’acheteur » (voir fiche DAJ précitée, point 2.2.1.), et non une obligation. L’opportunité de recourir à la demande de régularisation pourra donc dépendre de plusieurs facteurs, comme la nature des irrégularités, le nombre d’offres remises, etc. De deuxième part, et parce que la régularisation provient précisément d’une demande de l’acheteur formulée au candidat, doit être maintenue la solution selon laquelle le pouvoir adjudicateur ne saurait procéder d’office à la régularisation. De troisième part, la régularisation des offres doit se faire dans le respect de l’égalité de traitement, ce qui suppose :– premièrement, que si le pouvoir adjudicateur décide une demande de régularisation, alors celle-ci doit être adressée à tous les soumissionnaires ayant remis une offre susceptible d’être régularisée (fiche DAJ, point 2.2.1.) ;– deuxièmement, que le « délai approprié » accordé aux candidats pour régulariser leurs offres, et qui est donc fixé à l’appréciation du pouvoir adjudicateur, soit suffisant pour permettre aux soumissionnaires de remédier utilement aux irrégularités. Et s’il n’est pas exigé que le délai soit identique pour tous les candidats, la plus grande vigilance s’impose au pouvoir adjudicateur.De quatrième part, et parce qu’il est bien question de régularisation des offres, il s’en déduit, sur le fond, que :– premièrement, il n’est pas envisageable pour les candidats de profiter de la demande de régularisation pour améliorer leurs offres, qui plus est sur des aspects sur lesquels l’offre n’a pas à être régularisée (fiche DAJ, point 2.2.1.) ;– deuxièmement, « la régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet de modifier des caractéristiques substantielles des offres » (art. 59-IV). Cette disposition n’a, à notre connaissance, pas encore fait l’objet d’interprétation jurisprudentielle. L’on pourra toutefois s’inspirer par analogie, d’une part, des anciens articles 59 et 64 du Code des marchés publics, et de l’article 64 du décret du 25 mars 2016, relatifs à la mise au point du contrat, d’autre part, du régime de la modification du marché, et notamment de l’article 139 du décret. La DAJ déduit pour sa part de l’article 59-IV qu’il ne s’agit pas « de permettre au soumissionnaire de présenter une nouvelle offre ou de changer les termes de celle-ci de telle sorte que son économie générale soit bouleversée. Lorsque les irrégularités constatées sont manifestement trop importantes pour être régularisées sans entraîner une modification significative de l’offre, dépassant ainsi ce qui peut être raisonnablement acceptée, la régularisation ne saurait être autorisée » (point 2.2.1).Qui dit nouvelles dispositions dit donc nouvelles incertitudes quant à leurs interprétations. Mais globalement, la réforme semble empreinte d’un plus grand pragmatisme et aboutir sur davantage de souplesse, sans remise en cause réelle du principe de l’intangibilité des offres. Sources :