La réforme du droit des marchés publics : les marchés de maîtrise d’œuvre

Par Laurent Chomard

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Poursuivons l’étude de la réforme du droit des marchés publics en l'abordant aujourd’hui sous l’angle des marchés de maîtrise d’œuvre.

En effet, les nouvelles dispositions issue de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ont profondément modifié les modalités de passation propres aux marchés de maîtrise d’œuvre. Elles résultent d’un compromis entre le droit européen des marchés publics, qui ne consacre pas de régime dérogatoire pour les services d’architecture et d’ingénierie, et la défense de la singularité de ce type de marché par l’ordre national des architectes français.

I. La disparition du concours comme mode de passation des marchés de maîtrise d’œuvre

Le concours a pendant longtemps été un mode de passation des marchés de maîtrise d’œuvre et la règle pour tout projet de construction d’une certaine ampleur. L’ordonnance du 23 juillet dernier transpose de façon plus conforme à la réglementation européenne la passation des marchés publics de maîtrise d’œuvre et fait ainsi disparaître le concours en tant que mode de passation. Désormais, le concours est défini par l’article 8 de l'ordonnance comme « un mode de sélection par lequel l'acheteur choisit, après mise en concurrence et avis d'un jury, un plan ou un projet, notamment dans le domaine de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme, de l'architecture et de l'ingénierie ou du traitement de données ».

Si l’acheteur  souhaite enchaîner sur l’attribution d’un marché de maîtrise d’œuvre il devra recourir au négocié sans mise en concurrence du 6° du I de l’article 30 du décret relatif aux marchés publics, comme l’indique l’article 88 de ce même décret : « Lorsqu'il entend attribuer un marché public de services au lauréat ou à l'un des lauréats du concours en application du 6° du I de l'article 30, il l'indique dans l'avis de concours ». En droit européen, il n’y a là rien de nouveau : ces règles étaient déjà instituées tant par la directive 2014/18 que par la directive 2014/24. La nouveauté réside dans le fait que le droit français acte enfin cette séparation entre procédure de sélection d’un projet et attribution du marché au lauréat. Aujourd’hui comme hier, la fin de la procédure de concours donne lieu à un avis européen de résultat de concours qui est à distinguer de l'avis d’attribution sanctionnant l’attribution de l'éventuel marché en résultant.

II. Les nouveautés affectant le concours de maîtrise d’œuvre

L’article 90 du décret du 25 mars 2016, consacré aux marchés de maîtrise d’œuvre, prévoit un recours au concours moins systématique que sous l’ancien code de 2006. L'ancien article 74 du code réservait quatre exceptions au concours pour un marché de maîtrise d'œuvre dont le montant est égal ou supérieur aux seuils. L'article 90 du décret y ajoute une nouvelle exception pour la réalisation d’un projet urbain ou paysager, to, à savoir l'État, ses établissements publics à caractère autre qu'industriel et commercial, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements.

Peu ou prou, le déroulement d’un concours est le même que sous l’ancien code. Plus sobre dans ses indications, l’article 88 du décret du 25 mars 2016 ne précise plus un nombre minimum de candidats à inviter à participer au concours. De même, tandis que l’ancien article 70 mentionnait un nombre minimum de 3 candidats admis à concourir, le nouvel article évoque « un nombre suffisant pour garantir une concurrence réelle ».Autre nouveauté, alors que les primes étaient allouées aux candidats conformément aux propositions du jury, elles sont désormais allouées « aux participants qui ont remis des prestations conformes au règlement du concours » (Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, art. 88). Le jury ne plus librement moduler l’attribution des primes comme elle l’entend.Enfin, les règles de compositions du jury lui-même ont été modifiées. Là ou l’ancien article 24 du code prévoyait que les membres du jury sont désignés dans les mêmes conditions que celles prévues pour les membres de la CAO, l’article 89, III, dispose que « les membres élus de la commission d'appel d'offres font partie du jury », ce qui simplifie grandement sa constitution pour les collectivités territoriales. De plus, disparait la possibilité pour le président du jury de rajouter des personnalités présentant un intérêt particulier au regard de l'objet du concours comme prévu par l’article 24, I, d du code de 2006. En outre, disparait la disposition spécifique concernant le collège des maîtres d’œuvre d’au moins un quart (au lieu d’un tiers pour la métropole)  propre à Mayotte, comme prévu à l’ancien article 294 du code 2006.

III. La normalisation des procédures d’attribution des marchés de maîtrise d’œuvre

L’ancien article 74, en dehors du concours ou du MAPA pour les marchés en-deçà des seuils de procédure formalisée, prévoyait le recours  au négocié spécifique de maîtrise d’œuvre (CMP, art. 74, III, a) ou à l’appel d’offres spécifique de maîtrise d’œuvre (CMP, art., 74, III, b) et même le dialogue compétitif dans des cas très précis, toutes ces procédures, en particulier le négocié et l’appel d’offres ayant comme particularité de prévoir l’intervention d’un jury dans le déroulement de la procédure.

Le nouvel article 90 sur les marchés de maîtrise d’œuvre prévoit les cas où l’organisation d’un concours est obligatoire mais plus aucune mention particulière n’est faite pour les procédures de passation hors concours. Toute spécificié procédurale a disparu, seul subsiste un rappel de la réglementation sur les primes lorsque l’acheteur est soumis à la loi du 12 juillet 1985 (dite loi MOP).De même, l’ancien article 70 sur le concours prévoyait une disposition spécifique aux marchés de maîtrise d’œuvre en son point VIII : « Pour les collectivités territoriales et les établissements publics locaux à l'exception des établissements publics sociaux ou médico-sociaux, c'est l'assemblée délibérante qui attribue le marché ».Cette disposition a disparu de l’article 88 du décret de 2016 sur le concours : et pour cause, le concours n’est plus un mode de passation de marché mais de choix de projet par un jury. De plus, conformément à l’article L. 1414-2 du CGCT, désormais, la règle est que « les marchés publics dont la valeur estimée hors taxe est égale ou supérieure aux seuils européens mentionnés à l'article 42 de l'ordonnance susmentionnée, à l'exception des marchés publics passés par les établissements publics sociaux ou médico-sociaux, le titulaire est choisi par une commission d'appel d'offres ».Aussi, dorénavant suite à un concours, le marché de maîtrise d’œuvre sera attribué par la CAO après un négocié conforme à l’article 30, al 1er, 6 du décret.À noter que cela n’affecte pas la nécessité que l’assemblée délibérante adopte, par délibération avant le lancement du concours, le programme de l’opération et l’enveloppe financière du projet, conformément à la loi MOP.Sources :

  • Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics
  • Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics

Lire également :

  • « La réforme du droit des marchés publics : les modes de passation » – La Lettre Légibase Marchés publics n° 151
  • « La réforme du droit des marchés publics : l'allègement des modalités procédurales» – La Lettre Légibase Marchés publics n° 153